Publié le Samedi 9 janvier 2010 à 10h25.

Salariés sans papiers : l'angoisse à perpétuité....

Entretien avec Moussa, entré en France en 1991, intérimaire chez Manpower depuis treize ans et Kanté, entré en 1993 et intérimaire dans le BTP chez Lider Interim depuis dix-sept ans. Ils occupent, avec 40 autres sans-papiers, l’agence Manpower de Montreuil.Pourquoi êtes-vous en grève et quels sont vos objectifs ?En tant que travailleurs sans papiers, les patrons nous exploitent. On n’est pas payés pour la valeur de notre travail. Certains d’entre nous sont maçons et sont payés en tant que manœuvres. Certains sont grutiers, bancheurs1, coffreurs, etc. Beaucoup ont des qualifications, mais les patrons payent toujours en dessous de celles-ci. Même quand on est en grève, les patrons peuvent nous appeler pour nous faire venir sur des chantiers dès le lendemain matin. Ce n’est pas juste. On est donc déterminés jusqu’à ce que l’on soit tous régularisés. Pourquoi veut-on être régularisés ? Parce qu’en partant au travail, pour faire des courses, on a peur de sortir. Chaque jour on se demande si on sera arrêté ou pas. Tous les jours depuis dix ans, quinze ans, on vit avec cette angoisse de ne pas avoir de papiers. Il faut que le monde entier soit au courant de cela pour qu’on puisse avoir nos papiers. C’est franchement difficile. On n’est pas des criminels mais des travailleurs comme tout le monde. On travaille, on cotise et on n’a aucun droit.Quelles démarches ont été faites pour obtenir des papiers ?Pour satisfaire aux critères de régularisation, on nous avait dit au départ qu’il fallait dix ans de présence. Certains ont déposé leur dossier. Mais les préfectures ont refusé, arbitrairement. Même chose avec le nouveau critère de cinq ans2. Certains parmi les grévistes ont déposé leur dossier depuis juin 2008. On leur a dit qu’ils n’obtiendraient pas leurs papiers tant que leur patron ne leur a pas donné leur formulaire Cerfa3. Mais certains d’entre nous ont fourni ce document depuis un an ou plus et leurs dossiers sont toujours bloqués à la préfecture. On n’arrive pas à comprendre pourquoi. On leur fournit ce qu’ils demandent, mais cela ne marche pas. On n’obtient aucune réponse. Ils peuvent nous expulser demain, mais demain on va revenir, on est déjà habitués. Qu’ils nous laissent travailler tranquillement avec des papiers. Les Français pourront bénéficier de notre travail et nous aussi on bénéficiera du travail qu’on fait. Que pensez-vous de la nouvelle circulaire du gouvernement ?On a réuni tous les grévistes et on a estimé qu’elle n’était pas bonne car elle fait du cas par cas. Elle demande cinq ans de travail, mais certains, travaillent déjà depuis dix ou quinze ans sans être déclarés, dans des emplois de gardiennage par exemple, mais aussi des femmes qui peuvent même travailler à domicile. Nous, ce que l’on veut, c’est une circulaire qui permette de régulariser tous les travailleurs sans papiers. Les Algériens, les Tunisiens, qui travaillent comme les autres ne sont pas concernés par cette circulaire. C’est pour cela qu’on continue la grève. Que pensez-vous des évacuations lors de certaines occupations ? On n’arrive pas à comprendre comment on peut faire évacuer immédiatement par la police un gréviste occupant un chantier sur lequel il a travaillé. Sans autorisation du juge. Quand les policiers viennent sur les chantiers, on leur montre tous les documentsnous donnant le droit d’être là, les fiches de paye, etc. Les policiers ne les regardent même pas. On est traité comme des bandits. On pourrait leur dire : « nous on travaille ici, et vous n’avez pas d’ordonnance du tribunal », mais on respecte l’État. Si on occupe les chantiers, c’est parce que cela ne sert à rien d’occuper le siège d’une boîte d’intérim où l’on ne travaille pas. Il faut occuper le chantier pour que le patron soit au courant de la grève. Toutes les boîtes qu’on a occupées, on y a travaillé, on en a les fiches de paye. L’unité et le soutien sont-ils importants ?Il y a un collectif auquel participent onze organisations au niveau national4. C’est très important pour nous et le soutien de la population aussi. Il y a pas mal de gens qui ont signé la pétition. C’est important que la population comprenne le sens de notre grève : les sans-papiers sont avant tout des travailleurs. Il y a 2 500 entreprises touchées par la grève. Cela monte tous les jours. Quels conseils aux sans-papiers qui ne sont pas encore en grève ?On s’adresse à tous nos camarades qui ne sont pas encore en grève. On leur conseille de venir nous rejoindre, de se mettre en grève. Celui qui n’est pas en grève, qui continue à travailler et qui va se faire contrôler, va pleurer ce jour-là en regrettant de ne pas s’être joint à nous. Propos recueillis par Albert Michel1. Travail sur les armatures métalliques noyées dans le béton.2. La nouvelle circulaire du 24 novembre 2009 du gouvernement fixe un des critères de régularisation à une présence en France au moins égale à cinq ans. 3. Dans le cadre d’une régularisation par le travail, l’employeur doit fournir à l’Agence nationale accueil étrangers et migrations (Anaem), un engagement à verser une redevance. 4. Collectif des onze syndicats et associations: CGT, CFDT, FSU, Unsa, Solidaires, LDH, Cimade, RESF, Autre monde, Femmes Égalité, Droits devant !!