Dans la situation actuelle, la revendication de la réduction drastique du temps de travail prend tout son sens. Certaines entreprises ne passeront pas la crise, sont dépassées, en décalage avec la demande. D’autres utilisent le prétexte de la crise pour supprimer des emplois malgré, pour les grandes, les sommes déversées par l’État. Mais dans tous les cas, ce n’est pas aux salariéEs d’en faire les frais. C’est pourquoi, au-delà de l’exigence d’une réduction immédiate du temps de travail à 32 h hebdomadaires, sans perte de salaire, nous défendons la perspective d’une réduction drastique du temps de travail automatique jusqu’à la résorption totale du chômage, c’est-à-dire « l’échelle mobile du temps de travail ».
Une mesure de bon sens
D’après les chiffres de l’INSEE, 19,1 millions de salariéEs à temps complet travaillent en moyenne 1 680 heures par an, ce qui représente 32,1 milliards d’heures par an. Si on devait partager ce temps de travail avec les 3,7 millions de chômeurEs de catégorie A (qui sont entièrement privés d’emploi), on arriverait autour de 29 h par semaine. Si on rajoute à cela les chômeurEs non répertoriés (comme bon nombre des 2 millions d’allocataires du RSA) et les temps partiel qui veulent travailler plus, nous serions rapidement à 28 h par semaine, voire moins ! Bien sûr, pour que cette mesure soit efficace, elle doit se faire sans flexibilité ni perte de salaire ni dégradation des conditions de travail.
Dans les entreprises, la réduction du temps de travail entrainerait des discussions bien plus enthousiasmantes que le repli sur soi voulu par les réorganisations en tout genre. Comment travailler 28 heures par semaine ? 4 jours à 7 h ? Une semaine de 3 jours en alternance avec une semaine de 4 jours à raison de 8 h par jour ? Une semaine de 5 jours avec un compteur de RTT ? Les combinaisons sont nombreuses. Et même en réduisant le temps de travail, il faudrait continuer à créer des emplois : dans les services publics, la santé, l’éducation. Bref, il s’agit bien de faire passer nos vies avant leurs profits.
« Armée de réserve du capital »
Par ailleurs, nous n’avons jamais été aussi productifs. Selon l’INSEE, en France, la productivité du travail a été multipliée par 9 depuis 1950 et le Conseil d’orientation des retraites table sur une productivité multipliée par deux d’ici à 2060. Il est hors de question que ces gains de productivité se traduisent par du chômage.
Celui-ci n’est pas une fatalité : il résulte d’un choix économique et politique des capitalistes. En effet, maintenir le chômage à un niveau élevé permet (entre autres) de faire pression sur celles et ceux qui ont un emploi : « Si tu n’es pas content de ton sort, 5 millions de chômeurs attendent pour prendre ta place ». Cette « armée de réserve du capital »1 que représentent les chômeurEs est donc une aubaine pour les patrons afin d’imposer des conditions de travail dégradées et des bas salaires afin de maintenir des profits élevés. Face à des patrons qui ont toujours besoin de main-d’œuvre, une baisse massive du chômage les mettrait position de faiblesse. On le constate à une infime échelle en ce moment aux États-Unis ou en France dans des secteurs comme la restauration : le « manque de personnel » oblige les employeurs à promettre d’améliorer des salaires qui stagnaient depuis longtemps ou à proposer des horaires de travail moins calamiteux. Avec la disparition du chômage nous serions dans une position de force autrement plus favorable pour imposer les augmentations de salaires qui nous font défaut en ce moment, la confiance du monde du travail pour arracher de nouveaux droits n’en serait que renforcée.
Retraite à 60 ans et 55 ans pour les métiers pénibles
Le retour à la retraite à 60 ans (55 ans pour les métiers pénibles), avec un calcul fait sur la base de 37,5 annuités et sans système de décote, fait également partie de la réduction du temps de travail. Par ailleurs le système économique est tellement hypocrite que les patrons qui déclarent qu’il faut repousser l’âge de départ à la retraite… sont les mêmes qui mettent en place des « plans de départs volontaires » dans leurs entreprises pour les plus âgéEs !
L’aspiration au temps libre (en opposition au temps au travail) est une réalité à ne pas sous-estimer. Réduire le temps de travail, c’est du temps, pour s’occuper de ses enfants, faire la cuisine, s’occuper des affaires de la cité, faire de la politique, du vélo, des voyages, des études, aller à la bibliothèque ou à la piscine….
La revendication de l’échelle mobile du temps de travail suppose une mobilisation des salariéEs et une incursion dans la propriété capitaliste. Nous disputons aux possédants l’organisation de la société, nous voulons décider nous-mêmes ce qu’il faut produire, comment et pour qui !
Nous n’avons pas de solution pour rendre ce système viable. Celui-ci est basé sur l’exploitation de la femme et de l’homme par l’homme. En soi, il n’est pas transformable mais nous pouvons et nous devons arracher des conquêtes sociales et offrir des perspectives pour le monde du travail face au déferlement de fermetures d’entreprises que nous connaissons. Nous avons d’autres solutions à proposer qu’un peu plus de misère et de chômage.
- 1. Voir Karl Marx, Le Capital, Livre I, chapitre 25.