Nous n’avons plus de mots assez forts pour dire notre colère face à la tragédie. Pour dire notre rage face au cynisme et à l’hypocrisie des dirigeants européens, Hollande et Valls en tête.
Il reste les chiffres qui disent l’hécatombe. Ces chiffres sont terribles et augmentent de semaine en semaine : plus de 3 000 mortEs en Méditerranée depuis le début de l’année, plus de 30 000 aux frontières de l’Europe depuis 2000. Il faudrait y ajouter, dans les mêmes proportions, celles et ceux qui disparaissent avant même la traversée. Et puis, de plus en plus nombreux, les morts de migrantEs à l’intérieur de l’Europe dont témoignent les 71 migrantEs morts dans un camion frigorifique en Autriche, les 11 migrantEs morts à Calais depuis le 1er juin.
Ces chiffres sont pourtant insuffisants. Ils masquent l’humanité des victimes transformés en chiffres quand ce sont des noms et des visages, des vies brisées, des histoires à la fois collectives et individuelles. Ils masquent aussi l’inhumanité des conditions de la mort. Comment rendre compte de la mort par suffocation de 71 hommes, femmes et enfants ?
Ils masquent enfin les conditions dans lesquelles survivent tous les autres.
Toujours plus de frontières
Ces chiffres ne nous disent surtout rien des raisons et des responsabilités. La vérité est simple : ce sont les frontières qui tuent. Et plus les frontières sont hautes, plus les risques pris par les migrantEs sont mortels. Alors que 3 millions de Français sont des migrantEs vivant à l’étranger, aucun n’est mort en Méditerranée ou en cherchant à traverser des murs de barbelés ou en se cachant dans un camion frigorifique.
Alors, la réponse est aussi simple que le constat : ouvrons les frontières et l’hécatombe s’arrêtera. Une réponse qui dévoile toute l’hypocrisie et le cynisme des dirigeants européens car c’est justement ce qu’ils et elles refusent. Les migrantEs deviennent une justification au renforcement des frontières, au renforcement des politiques sécuritaires, au nationalisme et au racisme. Et, faute d’une logique d’accueil permanent des migrantEs, les annonces sur quelques centres d’hébergement ne résoudront rien.
C’est une dynamique folle car les frontières créent ce qu’elles prétendent combattre. Alors la pression vers toujours plus de frontières et de répression s’accroît. Outre les frontières externes à l’Europe, les frontières se renforcent aussi entre pays européens. Plus de 20 ans après la chute du mur de Berlin, les murs réapparaissent au sein de l’Europe, du mur de la honte à Calais au mur édifié entre la Hongrie et la Serbie. C’est la cause de la mort de migrantEs cet été en Europe.
Cette dynamique folle ne s’arrête pas là, c’est toute notre société qui devient malade : des grilles et des barbelés se multiplient à l’intérieur même de nos quartiers pour empêcher les migrantEs de s’installer sur les places ou dans les squares. Et ces frontières sont bien plus que des murs. Elles cassent nos solidarités. Elles sont des dispositifs policiers et idéologiques de surveillance, de contrôle et de répression de toute la société, dispositifs ainsi légitimées au nom, selon les moments, du contrôle migratoire ou de la lutte contre le terrorisme. Où sont donc passés les 10 millions de manifestantEs pour la liberté d’expression du 11 janvier dernier ?
Les migrantEs sont notre chance
Les migrations sont un phénomène global, qu’elles aient des raisons économiques ou « politiques ». Elles ont leur source dans les politiques de domination par les pays les plus puissants, France et Allemagne ou Grande-Bretagne en tête en dehors de l’Europe comme au sein de celle-ci. Ce sont les mêmes logiques et les mêmes politiques qui développent ici l’austérité et provoquent la misère et la guerre dans les pays du sud. Alors réfugiéEs des guerres, Roms (des migrantEs de l’intérieur de l’Europe...) ou sans-papiers, tous sont des migrantEs qui doivent avoir la liberté de circuler et de s’installer.
Alors le pire de la situation serait de laisser s’imposer les discours dominants, de laisser s’imposer notre impuissance. Se limiter aux chiffres n’est pas seulement insuffisant, cela peut-être dangereux. De drames en drames, c’est notre seuil de tolérance à l’ignominie qui augmente. Comme une routine de l’horreur qui rend toute notre classe sociale de moins en moins humaine, de moins en moins solidaire. Et le climat ambiant devient terreau pour les forces les plus racistes et réactionnaires, Front national en tête.
C’est de Dresde que nous vient la réponse, ville d’Allemagne où s’était développé le mouvement raciste et islamophobe Pegida, une région où des groupes d’extrême droite ont attaqué les centres de réfugiéEs. Samedi dernier, une manifestation a rassemblé des milliers de personnes à l’appel d’une coalition antifasciste pour « empêcher aujourd’hui les pogroms de demain » en chantant « disons-le à haute voix, disons-le clairement : bienvenue aux réfugiés ! ».
Au côté des migrantEs qui ont commencé à s’organiser cet été à Paris et à Vintimille, au côté des sans-papiers, il faut emprunter ce chemin. Les migrantEs sont notre chance. Notre société étouffe : « de l’air, de l’air, ouvrez les frontières ! »
Denis Godard