À quelques jours du démantèlement, le dispositif policier autour de la « jungle » se resserre, et la propagande du pouvoir, reprise par les médias, veut faire croire à une opération humanitaire maîtrisée et parfaitement organisée...
Calais, ville de non-droit
Le vendredi 14 octobre, à l’appel de la Coalition internationale des sans-papiers et migrantEs, un rassemblement de soutien aux habitantEs de la « jungle » devait se tenir place d’Armes. Celui-ci, comme la manifestation du 1er octobre, a immédiatement fait l’objet d’un arrêté préfectoral d’interdiction, confirmé ensuite par le tribunal administratif. Dès midi, d’importantes forces de police quadrillaient le centre-ville, dissuadant tout regroupement, laissant la place d’Armes aux flics et aux équipes télé en quête d’un événement qui n’aura pas lieu.
Pourtant, un mois plutôt, le 5 septembre, une manifestation menée par la maire LR Natacha Bouchart, regroupant le ban et l’arrière-ban des organisations patronales locales, la FNSEA, et (malheureusement) la CGT portuaire, avait été autorisée par cette même préfecture. Une manifestation qui sans difficulté a pu bloquer l’autoroute A16 et la rocade toute une journée, afin d’obtenir des renforts de police et un démantèlement rapide du bidonville... Il s’agit donc bien d’une volonté des autorités de faire taire toute voix hostile au démantèlement du campement.
Des « partenaires humanitaires » fort complaisants
Engluées dans leur collaboration avec l’État, les organisations dites « humanitaires » cogèrent avec la police les préparatifs de la déportation massive qui se prépare. Prenant les réfugiéEs par petits groupes, elles tentent de les persuader de choisir à quelle sauce ils/elles vont être mangés, allant même jusqu’à leur assurer la souplesse et la bienveillance des préfectures dont ils dépendront quand ils seront dispersés dans les CAO (centres d’accueil et d’orientation). Des propos « rassurants » en parfaite contradiction avec les déclarations de Cazeneuve, qui lui ne parle que de « consignes de fermeté », d’« expulsions », de « centres de rétention » et d’OQTF !
Posture humanitaire oblige, ces organisations ont obtenu sans difficulté un report d’une semaine du démantèlement, le temps pour le gouvernement d’annoncer qu’il avait subitement trouvé 7 254 places dans des centres d’hébergement dont on nous disait, il y a peu, qu’ils étaient « surbookés » ! Effet d’annonce encore, 16 mineurs isolés (sur les 1 300 résidant actuellement sur la « jungle ») auraient mardi rejoint la Grande-Bretagne après de « dures négociations »...
Enfin, pour éviter l’intervention intempestive des « No border » ou de tout autre groupe qui aurait l’intention de « perturber » cette belle opération humanitaire, la plupart des associations, Secours catholique compris, ont accepté sans rechigner de fournir à la police la liste de leurs « collaborateurs » qui seront donc les seuls autorisés à assister au grand nettoyage...
Vie de migrantE
Canons à eaux, véhicules blindés, hélicoptères, déploiement massif de CRS... Le camp est bien gardé ! À certaines heures, il est totalement bouclé et son accès interdit aux journalistes et aux soutiens... À d’autres, il est « entrouvert » à celles et ceux qui, en dépit d’un intimidant et humiliant filtrage, n’ont pas renoncé à rendre visite à leurs amis et camarades.
Alors, autour d’un verre de thé, les langues se délient... On apprend que le campement est toujours surpeuplé, que le départ des « dublinés » (ceux qui ont déjà déposé leurs empreintes dans un autre pays) qui redoutent une expulsion (soit dans le pays où ils ont fait une demande d’asile, soit directement pour l’Afghanistan ou le Soudan, leur pays d’origine), est compensé par de nouveaux arrivants souhaitant un hébergement dans un CAO plutôt que de rester un hiver de plus dans une rue parisienne. On affirme aussi que toutes les nuits, « ça passe en Angleterre », que « le rideau de fer a été cisaillé »... Et on dit que la nuit dernière a été plutôt calme, que les flics n’ont grenadé que pendant une heure...
Curieusement la vie est paisible, et l’ambiance bien plus humaine qu’au centre-ville. Une salle de jeu (avec billard et sono s’il vous plaît !) a été aménagée pour les mineurs isolés. Des vélos de récupération circulent dans le labyrinthe des ruelles de l’arrière-camp (un atelier de réparation a même ouvert). Et les boutiques fermées par les flics ont refait leur apparition...
Bref, la vie continue... « En attendant le grand feu d’artifice ! » (parole d’un migrant).
Alain Pojolat