Entretien. Chercheur à Migrinter (Université de Poitiers), Olivier Clochard est le président de Migreurop, un réseau européen et africain de militantEs et chercheurEs dont l’objectif est de lutter contre la généralisation de l’enfermement des étrangers et la multiplication des camps, un dispositif au cœur de la politique d’ « externalisation » de l’Union européenne... Nous revenons avec lui sur les politiques migratoires mises en œuvre par l’Union européenne, dont la France de Hollande et Valls. Comment caractérises-tu l’évolution de la politique extérieure migratoire de l’Union européenne ?Depuis le traité d’Amsterdam en 1998, l’harmonisation des politiques migratoires européennes a engendré un renforcement et une externalisation des contrôles migratoires, notamment dans les pays d’origine et de transit comme le Maroc, la Turquie voire l’Ukraine. Un des premiers dispositifs auxquels de nombreux ressortissants dans le monde – souhaitant venir dans un pays de l’Union – sont confrontés, c’est la demande de visa. Pour cela, il y a tout un ensemble de documents à fournir (contrat de travail, dernières fiches de paie, relevé du compte bancaire, attestation d’hébergement, etc.) et un coût de 60 euros (1) qui n’est pas négligeable (2). Face à ce dispositif, des personnes qui ont de faibles ressources ou une situation moins stable et n’ont d’autre souhait que de rendre visite à leur famille ont parfois les pires difficultés à obtenir ce fameux sésame. Alors que celles et ceux qui ont des moyens financiers sont bien moins concernés et le cas échéant auront davantage de facilités à surmonter ces obstacles administratifs. Ces diverses situations nous apprennent que si les migrations dans le monde sont de plus en plus entravées – on n’a jamais autant construit de murs depuis la chute du mur de Berlin en 1989 – les mobilités internationales sont également marquées par des rapports de classes engendrant une mondialisation différenciée des migrations. Sur le plan du renforcement des contrôles dans les pays tiers, il y a aussi les agents de liaison « immigration », des officiers de différents ministères de l’Intérieur détachés dans les pays extérieurs à l’UE qui ont également pour objectif d’inciter les autorités de ces États à collaborer à la politique européenne d’immigration sous peine de ne pas recevoir certaines aides financières dans d’autres secteurs comme l’aide au développement. Dans ce processus, les acteurs privés sont également de plus en plus présents. Si les compagnies de transports ont été mises à contribution dès les années 1990 sous peine de sanction financière, de grandes firmes internationales comme Thalès, G4S, BAE Systems tirent par contre une partie de leurs profits financiers de dispositifs de contrôles migratoires destinés à entraver la circulation des personnes. Alors qu’auparavant, ces mêmes entreprises avec d’autres dans le monde bien évidemment, ont fait en sorte, par le biais de divers lobbying, que les flux financiers et les échanges économiques circulent plus facilement. À chacun sa conception de la mondialisation ! Enfin il y a l’agence européenne Frontex qui coordonne des opérations de surveillance aux frontières extérieures. Elle passe également des accords avec les autorités de pays tiers sans que ces ententes soient ratifiées par le Parlement européen alors que le traité de Lisbonne le prévoit. C’est aberrant de signer de tels accords avec des régimes dictatoriaux comme la Biélorussie ou de voir qu’aujourd’hui les accords de réadmission avec l’Ukraine n’ont toujours pas été suspendus par la Commission. Quelles alternatives propose Migreurop aux gouvernements européens qui prônent l’urgence – encore et toujours – de renforcer les murs et les contrôles ?Depuis plus de quinze ans, les États européens soutiennent une politique meurtrière en prônant le renforcement des contrôles aux frontières pour mieux lutter contre l’immigration « irrégulière ». Pour preuve, depuis la création de Frontex en 2005 qui dispose pour ce faire de patrouilles, notamment en Méditerranée, le nombre de morts n’a cessé d’augmenter : de moins de 1 000 en 2005, il est passé à plus de 2 000 par an aujourd’hui. Par ailleurs, on assiste à une criminalisation de l’entrée irrégulière des migrants : le nombre de centres d’enfermement ne cesse d’augmenter. De 2000 à 2011, on est passé de 342 à 420 camps dans les pays de l’UE et les États voisins (3). Ce type de politique a pour effet de développer des fantasmes autour de la migration « irrégulière », laissant croire à des flux importants. Si à l’échelle d’une île comme Lampedusa ou d’un territoire comme Ceuta, cela peut représenter un pourcentage relativement important de la population, à l’échelle de l’Union européenne, cela demeure un petit phénomène. Les déclarations politiques sur la migration ont souvent été très éloignées de la réalité. En conséquence, au sein de Migreurop, il nous paraît important de changer les politiques migratoires actuelles. Les partenariats passés entre les États européens et les pays voisins doivent reposer sur une véritable équité, c’est-à-dire que les ressortissants des pays concernés aient les mêmes possibilités d’aller et venir. Par ailleurs, les pays européens ont ratifié des conventions internationales comme la Convention de Genève de 1951 sur le statut de réfugié qui permet à celles et ceux qui recherchent une protection de pouvoir entrer dans un pays sans forcément avoir un document de voyage en règle. Les autorités doivent en conséquence s’engager à respecter ces principes. Enfin, Migreurop demande la fermeture de l’ensemble des lieux d’enfermement pour migrants qui non seulement sont une source permanente de violation des droits fondamentaux mais contribuent aussi, aujourd’hui, à enrichir des actionnaires de grandes multinationales comme Bouygues, Vincy ou GDF Suez. La France est souvent vue comme un « pays moteur » dans l’élaboration des politiques migratoires européennes. Qu’en est-il depuis l’arrivée de la gauche au gouvernement ?Sur le plan intérieur, il y a très peu de changement, le ministère de l’Intérieur poursuit les actions entreprises par les gouvernements précédents. Si le vote des étrangers aux élections locales accapare les pages de certains médias, il n’a toujours pas été mis en place alors que c’était l’une des promesses de François Hollande et que cette disposition existe dans de nombreux pays européens comme en Suède, en Finlande ou aux Pays-Bas (4). Sinon on n’a jamais autant démantelé de camps de populations vulnérables parmi lesquelles il y a des Roms mais pas uniquement. Il y a aussi parfois des citoyens français et européens qui n’ont d’autre choix que de vivre dans ces campements informels. Le nombre d’expulsions forcées du territoire est passé de 19 328 en 2011 à 21 841 en 2012. La situation dans la région de Calais demeure inchangée depuis décembre 2002, date à laquelle le camp de Sangatte – mis en place par le gouvernement socialiste de Lionel Jospin – a été détruit. Ce camp n’était pas la panacée mais les lieux et les conditions dans lesquelles les autorités poussent les migrants à vivre aujourd’hui s’apparentent à de véritables traitements inhumains et dégradants. Des associations et le conseil régional de la région Nord-Pas-de-Calais œuvrent dans la région pour améliorer l’existence de ces hommes, femmes et enfants qui y transitent. Ils envisagent également de demander une renégociation voire une mise à plat des accords qui lient le Royaume-Uni, la Belgique et la France, et sont responsables en partie de cette situation. Cela pourrait être une tâche des prochains eurodéputés pour apporter un réel changement à cette situation migratoire que l’on retrouve également sous d’autres formes aux frontières grecques.Propos recueillis par François Brun 1 – Pour un visa Schengen d’une durée inférieure à trois mois.2 – Par exemple, pour l’achat d’un visa court séjour, un Indien devra travailler près de 67 heures alors qu’un ressortissant de Dubaï ne travaillera que 8 heures pour payer le prix d’un visa Schengen... 3 – Cf. Migreurop (2012) La mise à l’écart des migrant-e-s source permanente de violation des droits fondamentaux, http ://www.migreurop.org/article2216.html 4 – Au total, treize des 28 États de l’Union européenne autorisent les étrangers à voter lors des élections locales.
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