Il est 5 h 30 ce lundi 2 novembre à Paris. À cette heure-là, la composition dans le métro est uniforme : la première levée de travailleurs est presque totalement noire et arabe, main-d’œuvre précaire et mal payée. La plupart d’entre eux et elles sont des migrantEs, avec ou sans-papiers. C’est l’immigration choisie par le pouvoir et les patrons...
À la même heure, d’autres migrantEs sont aussi obligés de se lever, réveillés par la police. Ce sont ceux qui réoccupent à Paris la place de la République pour la troisième fois en moins d’une semaine. Cette fois, la police s’est contentée de prendre les bâches réinstallées la veille. Installé après l’évacuation du lycée Jean-Quarré (Paris 19e) par une centaine de migrantEs restés sur le carreau, le campement a été expulsé sans aucune solution jeudi 29 octobre... et réoccupé le soir même suite à une manifestation de plusieurs centaines de personnes... et évacué le vendredi après-midi avec 88 places en centres d’hébergement. C’est l’immigration harcelée et réprimée par le pouvoir et les patrons.
Accueil terminé, surveillance renforcée
Voici les deux faces de la politique migratoire actuelle : surexploiter les unEs et mettre la pression aux autres. Pour faire peur à touTEs, assurer que ça continue ainsi et faire pression sur tous les travailleurs. Rien ne l’illustre mieux que les positions exprimées en Allemagne ces derniers jours. Le ministre de l’Intérieur a annoncé que des dizaines de milliers de migrantEs seront expulsés avant Noël, et le patron d’Airbus a demandé un assouplissement du code du travail en Allemagne... permettant notamment une baisse des salaires pour « intégrer les migrants » qui resteront.
Ces déclarations en Allemagne sont significatives de ce qui domine désormais partout en Europe. Alors que les naufrages et les morts continuent, les images du cadavre d’Aylan ont été remplacées par celles des barbelés et des murs qui se multiplient. Et quand François Hollande fait mine de s’en émouvoir, Manuel Valls annonce le rétablissement des contrôles aux frontières avec la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne... le temps de la COP21 ! Le message est assez clair : le renforcement du contrôle et de la surveillance, légitimé par la politique migratoire ou sécuritaire, sera aussi utilisé contre toute contestation.
Les morts comme condition
La machine à expulser va se mettre à fonctionner à plein régime. De nombreux Afghans ont témoigné ces derniers jours du refus qui leur a été signifié, soit parce qu’ils relèvent du règlement Dublin (qui « justifie » leur expulsion vers le premier pays où ils ont été enregistrés), soit parce que l’Afghanistan est considéré comme un pays « sûr » ! Mais rassurez-vous, cela se fera dans le cadre « républicain » : lundi 2 novembre, la « réforme » sur le droit d’asile en France est entrée en application. Accélérant les procédures, elle rendra plus compliquée la constitution des dossiers des demandeurs et facilitera l’expulsion des déboutéEs (voir l’Anticapitaliste n°309).
La seule solution des autorités, c’est de rendre les conditions de passage puis les conditions de vie difficiles (et dangereuses) afin de décourager celles et ceux qui doivent quitter leur pays. Les mortEs et les réfugiéEs à la rue sont donc, dans le langage de la com, les victimes collatérales (comme les civils lors des guerres) de cette politique. En fait, ils et elles en sont la condition.
Le problème des autorités, ce n’est donc pas que des migrantEs meurent ou survivent dans des conditions indignes, c’est que cela se voie. Plus grave pour les autorités, c’est que les migrantEs s’organisent collectivement et se battent. Pire encore c’est qu’ils et elles soient soutenus. Qu’ils et elles soient non seulement visibles mais aussi vus !
La leçon des migrantEs
La solidarité avec les migrantEs, ce n’est pas simplement la revendication de lieux d’hébergement décents. Cela doit s’accompagner d’une régularisation globale, la condition pour que les lieux d’hébergement ne deviennent pas synonymes de retour à la rue ou – pire – de déportation. Condition aussi pour empêcher que les migrantEs soient utilisés comme moyen de pression contre les conditions de logement et de travail de tous les travailleurs. C’est aussi la revendication d’ouverture des frontières, pour stopper l’hécatombe tragique mais aussi pour empêcher la reproduction infinie de la répression et l’hypertrophie d’un système policier.
Sur la place de la République, vendredi 30 octobre, les migrantEs nous ont donné une leçon ! Ceux qui avaient été pris dans la nasse policière ont refusé en bloc de monter dans les cars qui devaient les emmener vers les centres d’hébergement tant que leurs camarades qui étaient en dehors ne pouvaient pas monter avec eux. Mise sous pression par le rassemblement de solidarité de la veille, la préfecture a dû céder.
Imaginez ce que bouleverserait dans notre société gangrenée par l’atomisation sociale, le racisme, l’austérité et le contrôle sécuritaire, un mouvement de solidarité avec les migrantEs impliquant massivement les habitantEs de nos quartiers, les syndicalistes, les autres sans-abris, les chômeurs... Une belle perspective ! La manifestation unitaire prévue le 22 novembre prochain doit en être la première étape.
Denis Godard