Un an après, un campement de migrantEs s’était à nouveau installé le long des jardins d’Éole près du métro Stalingrad à Paris. Comme l’été dernier... Un an après, ce campement a de nouveau été évacué après trois semaines. Ils et elles étaient plus de 1 500. Dans des conditions terribles.
En un an, il y a eu près d’une trentaine d’évacuations. Cette fois, les migrantEs ont été envoyés dans des gymnases de la lointaine banlieue. Dans des gymnases ! Même plus des centres d’hébergement ou des hôtels. Pour combien de temps ? Le temps de l’Euro de foot? Pour éviter l’image de la misère dans les rues de Paris ? Ou conjurer, quelques semaines, celle de la révolte ? Une assignation à résidence.
Paris est en guerre. Anne Hidalgo a annoncé la création de camps de réfugiés aux portes de Paris. Peut-être avant la fin de l’été. Peut-être avec quelques centaines de places. Pas difficile de savoir que ce sera trop peu. Trop peu quand un campement comme celui d’Éole est passé d’une quarantaine de migrantEs à 1 500 en trois semaines. Alors qu’il y a plus de logements vides que de sans-abris.
Et surtout que ça ne réglera rien. Parce que vivre dans un camp sans perspective, ce n’est pas vivre. Et l’hostilité du gouvernement fait froid dans le dos pour les milliers de migrantEs actuellement dans des centres saturés : que vont-ils devenir, que vont-elles devenir alors que la majorité va être déboutée du droit d’asile ? Le fait que le pouvoir se soit mis à taper plus fort sur les sans-papiers est un message. La police a fait deux descentes dans des foyers il y a deux semaines pour rafler les sans-papiers. Tandis que l’Europe ne raisonne que frontières, flics et hotspots...
Entre urgence et réponses de fond
Il y a un an, j’avais écrit un texte qui s’appelait « La rage... avec l’espoir qu’elle fera des vagues ». Oui cette rage a fait des vagues. Les campements se sont multipliés pendant des mois, avec des manifestations et des actions. Cela a permis une dignité retrouvée quand des migrantEs se mettaient debout pour réclamer leurs droits, y compris face aux matraques des flics. Ces vagues n’ont pas été pour rien dans celle qui s’est levée avec le mouvement actuel, avec Nuit debout. Mais rien n’a vraiment changé. Parce que la seule solution, l’accueil des migrantEs, qui serait un véritable renversement de la logique du pouvoir, n’a pas avancé d’un pouce.
Du coup, le mouvement de solidarité est toujours confronté à un dilemme réel qui le déchire entre urgence et réponses de fond, devenu opposition entre humanitaire et politique. Une anecdote l’a illustré ce 2 juin. Ce jour-là, des centaines de migrants ont décidé d’occuper la rue devant le campement. C’était un premier geste sans objectif concret. La fierté de ne pas seulement attendre qu’on veuille bien « s’occuper » de leur situation. Qu’on arrête de les nier. Arrêter de n’être que victimes, objets de charité. Quand les camions de bouffe sont arrivés, au lieu de faire la queue, ils ont scandé « No food, no food ! » (« Pas de nourriture, pas de nourriture ») et ils les ont repoussés. Certains soutiens se sont énervés, disant que c’était irresponsable. Enfermés par l’urgence dans un paternalisme sans rivage, sans comprendre que quand tu n’as rien, ta seule arme pour lutter c’est ton corps même, la seule chose qui te reste, le seul espace de décision. Demain on verra, on regrettera peut-être, mais aujourd’hui, on s’est redonné le pouvoir de décider. Contre l’urgence de la survie elle-même.
Un an après, notre rage est toujours de défaite. Mais, paradoxalement, ces moments de riposte désespérée sont ferments d’espoir. Des milliers de migrantEs aiguisent ici leur colère. Et apprennent de nos impuissances que nous ne sommes rien sans eux et sans elles. C’est aussi à nous de l’apprendre parce que notre rapport d’égalité, à construire, dans une lutte commune contre le pouvoir, sera le véritable pont pour faire tomber les frontières.
Denis Godard