Publié le Vendredi 19 novembre 2021 à 13h00.

Marseille 73, de Dominique Manotti

Éditions Les Arènes, 2020, 384 pages, 20 euros.

Le roman Marseille 73 de Dominique Manotti donne un bon aperçu de ce que fut l’extrême droite française au début des années 1970 quand, truffée d’anciens de l’OAS, de policiers et de militaires revenus tout droit de la guerre d’Algérie, elle avait ses clubs de tir et abattait des Arabes dans les rues de Marseille « pour la sécurité des Marseillais », et « contre l’immigration sauvage ».

Campagne raciste meurtrière

Écrit sous la forme d’un polar, il est du début à la fin basé sur des faits réels, la série de meurtres racistes perpétrés à la fin de l’été et à l’automne 1973 : une quinzaine recensés dans la seule ville de Marseille, une cinquantaine dans toute la France. C’était la période aussi où, face à une montée du chômage, une circulaire gouvernementale (dite Marcelin-Fontanet du nom de ses auteurs) visait à bloquer l’immigration et renvoyer une partie des travailleurEs immigrés chez eux.

La mort d’un conducteur de bus marseillais, tué par un malade mental qui se trouvait être d’origine algérienne, déclenchait une nouvelle effervescence raciste. Campagne raciste dans la presse marseillaise, constitution d’un « Comité de défense des Marseillais » animé par l’extrême droite qui participait (aux côtés de syndicats corporatistes peu regardants sur le racisme) à l’enterrement du chauffeur, avant que dans la soirée même, certains de ses membres se lancent dans des ratonnades, faisant trois victimes, dont le jeune Ladj Lounes (Malek dans le roman) – abattu devant un café fréquenté par des maghrébins dans un des quartiers populaires de la ville.

C’est l’enquête sur ce meurtre qui fait la trame du roman. On y voit les liens étroits entre les groupes d’extrême droite marseillais, le SAC gaulliste de Charles Pasqua et la police, ainsi que la complicité des juges qui s’empressent d’enterrer ces crimes racistes sous l’étiquette de règlements de comptes entre « petits délinquants arabes ».

Lutte auto-organisée

Dominique Manotti fait revivre le combat mené contre ces crimes racistes par quelques associations d’aide aux immigréEs, comme la Cimade (association protestante) dont l’un des responsables, pasteur, est expulsé manu militari sur ordre du gouvernement vers son pays d’origine (heureusement pour lui, la tranquille Suisse) et surtout le combat mené par les travailleurEs maghrébins eux-mêmes, dont une organisation qui s’est créée à l’époque, le MTA (Mouvement des travailleurs arabes). Elle lançait, après les assassinats un mot d’ordre de grève qui paralysait le chantier naval de La Ciotat. A suivi une grève à Marseille et, le 14 septembre, une grève au niveau de la France entière, largement suivie notamment dans les usines métallurgiques de la région parisienne.

Manotti relate l’action des militants ouvriers maghrébins, la solidarité qu’ils ont trouvée auprès de l’extrême gauche et d’associations de défense des immigrés. Elle souligne aussi le silence complice du maire socialiste de Marseille, Gaston Deferre, et évoque la pleutrerie des directions syndicales. Rappelons que le quotidien communiste régional la Marseillaise désavouait en ces termes la grève lancée par le MTA : « Certains groupuscules essaient d’entrainer les immigrés dans des actions irréfléchies qui les isoleraient. Qui manipulent ces groupes. Qui cherche ainsi un affrontement en grand ? À qui cela profite ? Sans conteste à ceux qui trouvent intérêt à l’immigration sauvage qu’ils ont favorisée. » La CGT marseillaise avait désavoué aussi la grève. Mais la ténacité du MTA et des mouvements qui le soutenaient a finalement contraint, après moult hésitations, les syndicats nationaux à se dire solidaires de la seconde grève, celle du 14 septembre… mis à part la CFDT.

Le roman rappelle les faits tristement réels de ce septembre 1973. Seuls trois policiers qui, en opposition avec la maison poulaga, mènent l’enquête jusqu’au bout sont presque trop beaux pour être vrais. Mais on ne fait pas un bon roman policier sans une bonne enquête.