La grève qui se déroule au théâtre de la Commune est une lutte importante. Pour les salariéEs, bien entendu, qui voient leurs conditions de travail se dégrader, et les relations avec l’ensemble de l’équipe du théâtre pourrir. Mais cette grève est aussi l’enjeu d’une lutte plus large, celle de touTEs les travailleurEs du monde du théâtre, quel que soit leur métier. Elle pourrait même faire date dans l’histoire du théâtre public et des luttes syndicales de ce milieu.
Nous sommes beaucoup à espérer la fin d’une certaine hypocrisie qui a cours depuis une quarantaine d’années. Va-t-on réussir à en finir avec les directeurEs de théâtre, metteurEs en scène, artistes-intellectuelEs tout-puissants ?
Les théâtres ne sont pas coupés du monde social
Lorsque vous mettez les pieds dans un théâtre, il convient d’ôter de votre vocabulaire les mots « pouvoir », « lutte de classes », ou même « classe sociale », « patrons », « exploitation ». Enfin, si, vous pouvez en parler, mais uniquement si c’est pour dénoncer ce qui se passe à l’extérieur « Pas de ça chez nous ! » L’entrée en résistance se résume à œuvrer à la grande entreprise de l’art et du théâtre.
Cet état de fait nie toute contradiction à l’intérieur de chacunE de nous, mais aussi dans n’importe quelle institution ou structure de la société capitaliste. Ici, le bât blesse : si les artistes sont des résistantEs du simple fait qu’ils et elles sont artistes, et qu’il n’y a pas de rapports de pouvoir ou de classes dans les théâtres, comment comprendre la revendication de mettre fin à une gestion nocive du personnel des salariéEs en grève au théâtre de la Commune ?
UnE salariéE de théâtre serait-il ou elle moins digne d’attention car il ou elle ne serait pas artiste – et donc en résistance – mais bassement attaché à ses conditions de travail et à ses droits syndicaux ? Les travailleurEs du théâtre n’auraient-ils et elles pas le droit de déroger à cet implicite qui veut que les rapports sociaux qui traversent la société capitaliste n’ont plus cours dès lors qu’on passe la porte d’un théâtre ?
L’art n’excuse pas tout
Les tensions rendues insolubles par trop de contradictions refoulées viennent de plus loin. Ce qui se joue à la Commune, théâtre labellisé CDN (centre dramatique national), remonte à 1972 et à la « mise en place du contrat de décentralisation, [où] le metteur en scène incarne à lui seul l’identité du CDN qui lui est confié intuitu personae pour un engagement de trois ans renouvelable. » C’est donc « l’abandon de la logique de troupe au profit d’une institutionnalisation de la position dominante du directeur » qui devient le pivot de la politique culturelle du théâtre public1. Et l’hypocrisie peut s’installer tranquillement. Aujourd’hui, au Théâtre de la Commune, l’ambiance pourrait se résumer à cela : « Il est doux d’avoir des inférieurs ; il est pénible de voir des inférieurs acquérir des droits, même limités, qui établissent entre eux et leurs supérieurs, à certains égards une certaine égalité. On aimerait mieux leur accorder les mêmes avantages, mais à titre de faveur ; on aimerait mieux, surtout, parler de les accorder. »2
Cette grève est révélatrice de toutes ces contradictions, mais aussi porteuse de quelques espoirs : mettre fin à la toute-puissance des directeurEs de théâtre et à l’idée que lorsqu’on est artiste, tout est excusable. On peut tout à fait défendre et proposer des conditions décentes de production pour la création artistique et une politique culturelle ambitieuse, progressiste et engagée, qui se construise en lien avec les équipes salariées des théâtres et les compagnies et artistes qui y sont associés.
Marion (comité ATIPIC, commission culture)