La période de dérèglements climatiques dans laquelle nous entrons progressivement est étroitement liée aux choix politiques que les pays développés ont fait dans l’après-guerre. Ainsi, le modèle agroalimentaire industriel, loin d’être la seule voie possible, a été fortement privilégié. La sortie de la guerre, après 1945, a été marquée par une très forte volonté d’intégrer la production et la consommation agroalimentaires dans des schémas d’échanges commerciaux internationaux. Pour ce faire, des politiques de « modernisation » ont été adoptées permettant de faire transiter des « marchandises » agricoles un peu partout, tout en promouvant les investissements massifs en intrants (engrais, etc.), machines et travaux publics afin de rendre les capacités des sols équivalentes partout (au lieu de respecter les possibilités locales). Ces politiques, motivées par l’impératif du profit, ne se sont jamais préoccupées de leurs conséquences sur la nature. Mais aujourd’hui, si l’on considère les filières – production, distribution et consommation – dans leur ensemble, l’agriculture est responsable de près de la moitié des émission de gaz à effet de serre. Le modèle industriel est, en effet, friand d’énergies fossiles et de toutes sortes d’intrants (tant pour la production que pour le transport des aliments) ; il surexploite et concentre les zones productives et contribue à la déforestation du fait de la concurrence sur le foncier. L’élevage industriel, à l’origine de 37 % des émissions de méthane, participe largement à l’émission de gaz à effet de serre. En retour, les conséquences du réchauffement climatique sur l’agriculture risquent d’être énormes : à peine 1°C suffit à déplacer de 200 km vers le nord les conditions de culture. Sans compter les bouleversements que vont subir les forêts et les phénomènes extrêmes, comme les cyclones, qui vont se développer. Face à des effets si importants, on ne peut se permettre de simplement délocaliser les cultures. Les remodelages à la marge ne peuvent donc pas être efficaces. On ne peut pas vider les campagnes de leurs paysans pour y créer des forêts censées devenir des puits de carbone, tout en plantant des OGM à côté. On ne peut pas continuer de détruire les agricultures traditionnelles des pays du Sud, en y installant des monocultures irriguées à côté des nouveaux déserts qui sont la conséquence du changement climatique. On ne peut pas adapter les semences aux dérèglements climatiques, car les semences paysannes et les paysans sont en train de disparaître. Il faut agir globalement et abandonner le modèle agroalimentaire actuel afin de promouvoir une agriculture respectueuse de la nature et qui satisfasse les besoins sociaux. On peut développer la production diversifiée (mêler prairies, bois, champs et élevages), qui remet en cause les filières agro-industrielles et éviter les transports de marchandises inutiles en relocalisant partiellement la production. Il est plus qu’urgent que la question de la séparation entre la ville et la campagne soit discutée collectivement.
Faut-il continuer de vivre dans des mégalopoles surpeuplées ou dans des campagnes désertées ? Voulons-nous nous réapproprier le rapport à la nature ou allons-nous céder la place aux experts pour le gérer ? Il est urgent de se réapproprier le travail de la terre et de décider ensemble de ce que l’on veut produire et comment, en lien avec ce que nous voulons et avons besoin de consommer. Pour faire face aux dérèglements climatiques, nous devons créer un monde où l’on vit, produit et consomme mieux! Il est plus qu’urgent d’inviter ces questions dans le débat démocratique !
Roxanne Milia