Publié le Vendredi 29 juin 2012 à 11h31.

Brésil 2012 : injustices sociales et environnementales marchent du même pas !

Il y a 20 ans, le Brésil accueillant le « Sommet de la terre » se positionnait alors comme le champion du « développement durable », d’un nouveau modèle de développement conciliant l’économie, le social et l’environnement. Le Brésil qui reçoit cette année la conférence des Nations unies sur « l’économie verte » se situe aux antipodes de cette promesse d’une alliance heureuse entre capitalisme et environnement. Dans ce pays immense occupant la surface de la moitié de l’Amérique Latine, recelant des richesses naturelles colossales, la majorité de ses 180 millions d’habitants vit dans la plus grande pauvreté. Le Brésil apparaît comme l’un des pays les plus inégalitaires de la planète, un pays où l’écart entre la minorité privilégiée et la majorité appauvrie est l’un des plus grands. Le Brésil est une sorte de « Suissinde » où les riches vivent comme en Suisse, les pauvres comme en Inde...

Nos camarades du PSOL (Partido SOcialismo e Liberdade) écrivent dans la revue de leur secteur écosocialiste lancée le 18 juin : « Dans notre pays, dont la formation historique, socio-économique et culturelle a été fondée sur la monoculture d’exportation, l’esclavage, la surexploitation systématique et le génocide des peuples indigènes et descendants des Africains, le vol et la dévastation de notre nature, le programme "Accélération de la Croissance" des gouvernements Lula puis Dilma est la dernière facette du "développementalisme". »

Ce « développementalisme » a des conséquences dramatiques sur le plan social comme sur le plan environnemental. 

Dans les campagnes, 1 % des propriétaires latifundiaires occupent 40 % des terres agricoles du pays, alors que la masse des paysans n’a que de minuscules lopins, ou pas de terre du tout. Avec le développement du capitalisme dans les campagnes, et le remplacement des cultures vivrières ou céréalières par l’élevage extensif de bovins — destinés à l’exportation pour les chaînes McDonald’s — les paysans sont expulsés des terres par les pistoleiros, les hommes de main des propriétaires fonciers. Ces millions de paysans chassés affluent vers les grandes villes, en particulier les grandes mégalopoles comme Rio de Janeiro et Sao Paulo, où la majorité d’entre eux est condamnée à s’entasser dans les favelas, les misérables bidonvilles qui entourent les villes, où ils n’ont ni électricité ni eau courante.

La complaisance du gouvernement à l’égard de l’agro-industrie est criante : 10 % du budget de l’aide à l’agriculture sont partagés entre des millions de familles de la petite production paysanne, qui fournit la plupart des cultures alimentaires du pays, tandis que 90 % vont à une poignée de grands propriétaires de l’agro-business capitaliste, produisant pour l’exportation (soja, maïs, bovins). 

Depuis 2008, le Brésil dépasse les États-Unis et est devenu, avec 19 % des pesticides utilisés dans le monde, le pays qui en utilise le plus. Selon l’Association brésilienne de santé publique, le tiers des aliments consommés dans le pays est contaminé par les pesticides. C’est aussi dans les grandes propriétés consacrées à la monoculture que se constatent les niveaux d’érosion des sols due à l’eau et au vent les plus élevés. Le bilan du gouvernement c’est aussi l’ouverture du pays aux OGM de Monsanto. 

Alors que la déforestation est à l’origine de près de 75 % des émissions de CO2 du Brésil, la révision du Code forestier, sous la pression des puissants lobbys agricoles, prévoit notamment une amnistie pour tous ceux qui ont déboisé illégalement avant 2008. Le nouveau texte prévoyait aussi un assouplissement de la préservation de la forêt amazonienne, qui pouvait conduire à une augmentation de la déforestation de près de 50 % d’ici à 2020. Finalement, grâce à une forte mobilisation, la présidente Dilma Roussef a mis un veto partiel, rétablissant notamment l’obligation pour les grands propriétaires terriens de reboiser des terres qu’ils avaient illégalement déboisées, les exigences sont moins strictes pour les petits agriculteurs et les éleveurs pauvres. Mais tout affaiblissement de la loi met en danger la plus grande forêt tropicale du monde.

Autre dossier brûlant : la décision d’imposer le projet pharaonique de construction du barrage hydro-électrique de Belo Monte sur le Rio Xingu, un affluent de l’Amazone. La construction du barrage a été lancée en janvier dernier impliquant l’expulsion des habitantEs et la destruction d’une vaste aire boisée. La mobilisation continue. À deux jours de l’ouverture du sommet, 300 personnes, des membres des communautés amazoniennes mais aussi des militants écologistes, ont investi le chantier situé à quelque 3 500 kilomètres de Rio de Janeiro afin de dénoncer « les crimes sociaux et environnementaux commis par la construction de ces grands projets hydroélectriques en Amazonie ».

Ce barrage n’est pas, loin s’en faut, le seul grand projet destructeur du pays, ils sont nombreux agressant et détruisant les territoires traditionnels cadre physique et culturel de vie des peuples indigènes et quilombolas (descendant des esclaves marrons), provoquant détournement des fleuves, pollution des eaux et des sols, destruction de la biodiversité. 

C’est la convergence, la rencontre, le dialogue de l’ensemble des résistances aux différentes manifestations de la barbarie capitaliste et productiviste qui fait la puissance et la richesse, du « Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale » qui se tenait en réponse au sommet officiel, afin de mobiliser contre « les fausses solutions » à la crise et la transformation de la nature en marchandise. Alors que, dans les villes comme dans les communautés, les femmes sont les premières victimes, la semaine a aussi été ponctuée par la marche des femmes réunissant 5 000 manifestantEs, de la Marche mondiale des femmes, de la CUT, de Via Campesina, de nombreuses forces féministes et participantEs du Sommet des peuples. Avec des mots d’ordre contre les violences faites aux femmes, le droit à disposer de son corps, mais aussi contre le capitalisme et pour dire que ni la terre, ni la nature, ni notre corps ne sont des marchandises, ont peut parler d’un écoféminisme anticapitaliste ! 

Christine Poupin