Entretien avec Yaroslav Nikitenko, activiste écologiste russe, invité en France par Europe Écologie Les Verts le 27 janvier dernier. Tu es, en Russie, un des activistes qui s’opposent à la destruction de la forêt de Khimki, peux-tu nous expliquer l’origine de cette lutte et les événements récents auxquels vous avez dû faire face ?La forêt de Khimki est située près de Moscou. C’est une forêt qui date du xviiie siècle, qui a toujours été protégée, elle a connu l’époque des tsars, la Russie soviétique, mais on se demande si elle va survivre à Poutine. En effet, depuis 2007, celui-ci veut en détruire une grande partie pour construire une autoroute entre Saint-Pétersbourg et Moscou, afin de faciliter l’accès à un aéroport, et également créer des commerces. Un partenariat entre le gouvernement russe et la multinationale française Vinci est à l’origine du projet, et des entreprises sous-traitantes russes dirigées par des amis de Poutine s’occupent des travaux. Avec des groupes d’activistes, en majorité moscovites mais également d’autres villes voire d’autres pays, nous avons décidé de résister et d’occuper la forêt pour empêcher la coupe des arbres. Les travaux ont commencé en 2011, et l’été dernier, nos campements de résistance ont été attaqués par des milices néonazies – dont certains membres portaient des insignes SS – payées par la compagnie chargée d’abattre les arbres. Plusieurs militantEs ont été blesséEs et arrêtéEs par la police. Aujourd’hui les travaux ont été arrêtés à cause de l’hiver, mais nous maintenons notre vigilance en demeurant dans la forêt chacun notre tour. Dans la forêt de Khimki vous avez été attaqués par des bandits néonazis. À Moscou y-a-t-il ce genre d’attaques ou d’autres formes de répression ? Et comment voyez-vous les suites ?Pendant les manifestations, il y a eu de la répression de la part de la police. Sergueï Oudaltsov, leader du Front de gauche russe, une organisation de la gauche fondée récemment, a été condamné à dix jours de prison pour la huitième fois, ce qui a suscité de nouvelles manifestations. Moi-même j’ai été arrêté pendant une de ces manifestations et aussi condamné à dix jours de prison ; c’est là que j’ai passé le réveillon du 31 décembre. Malgré tout, nous ne désarmons pas. Si depuis la fin de l’année, il n’y a pas eu de nouvelle manifestation, c’est que nous préférons préparer des manifestations moins fréquentes mais plus massives, et la prochaine aura lieu le 4 février*. Tu étais venu au camp de résistance au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en juillet dernier, pourquoi ?Comme pour la forêt de Khimki, Vinci est un acteur essentiel de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Nous sommes confrontés aux mêmes types de problèmes, quand une multinationale comme Vinci, avec l’appui des pouvoirs politiques, particulièrement corrompus en Russie, pour détruire des zones entières, forêts ou terres vivrières. On essaye donc d’exprimer notre soutien aux opposants à l’aéroport, tout comme nous cherchons à obtenir des soutiens en France, face à Vinci. Face à ces pouvoirs économiques et politiques, on doit résister tous ensemble. On a vu, dans plusieurs villes russes, d’importantes mobilisations après les élections de décembre. Qu’en penses-tu ?Les élections ont eu lieu le 4 décembre, en attendant les présidentielles le 4 mars. Ce mouvement a été très surprenant, car la société civile russe est très faible en Russie. La population a été choquée par le retour prévisible de Poutine aux commandes du pouvoir. Les blogueurs et les journalistes indépendants se sont mobilisés très rapidement, des comités et des organisations se sont créés, avec une très grande diversité politique. Par rapport à la défense de la forêt de Khimki, c’est vrai que notre lutte a été un peu effacée par les manifestations contre le pouvoir, malgré une prise de parole d’un de nos leaders à Moscou. Cela dit, on pense que la priorité est de virer Poutine et contrôler le pouvoir, car c’est en virant Poutine qu’on pourra sauver la forêt. * La manifestation a réuni quelque 120 000 personnes.Propos recueillis par Vincent Gay