En 1905, la perspective d’une révolution « bourgeoise » en Russie ouvre un débat stratégique central sur les tâches que le prolétariat doit ou non assumer.
Au début du 20e siècle, mencheviks et bolcheviks sont unanimes sur l’imminence d’une révolution « bourgeoise » en Russie. Mais ils divergent sur le rôle historique de ses principaux acteurs sociaux et politiques. La Russie a connu depuis le milieu du 20e siècle un développement capitaliste très rapide, « inégal et combiné », et il s’est formé un prolétariat industriel, certes très minoritaire mais très concentré, qui constitue une force sociale et politique sans commune mesure avec son importance numérique.
Quelle direction pour la révolution ?
Les mencheviks déduisent mécaniquement de la nature bourgeoise de la révolution russe qu’elle doit être dirigée par la bourgeoisie. Et ils assignent donc au prolétariat la tâche d’aider, de soutenir la bourgeoisie à faire sa révolution. Ils écartent toute participation au gouvernement « bourgeois » qui succédera au tsarisme, soit par une voie parlementaire soit par une insurrection.
Les bolcheviks estiment que la bourgeoisie trahira tôt ou tard la révolution : elle veut négocier un compromis avec le tsarisme sous la forme d’une monarchie constitutionnelle (c’est dans le programme du parti cadet, le principal parti bourgeois d’opposition), car elle a un besoin crucial de l’appareil répressif tsariste pour mater le prolétariat. La bourgeoisie ne voulant pas faire le travail, ils assignent donc au prolétariat la tâche de diriger la révolution. Le prolétariat doit entraîner la grande majorité de la population, qui a intérêt à la république : la paysannerie (la fameuse « alliance ouvrière et paysanne ») et l’intelligentsia démocratique. Ils n’écartent pas la possibilité de participer, minoritairement, à un gouvernement du peuple insurgé pour y porter les revendications ouvrières, mais temporairement, car il ne s’agit pas d’une révolution prolétarienne.
La révolution permanente
Trotsky est d’accord avec les bolcheviks jusqu’à la participation au gouvernement. Mais ajoute-t-il, si le prolétariat est la force dirigeante de la révolution, alors son représentant politique, le POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie, 150 000 membres), sera logiquement majoritaire dans le gouvernement révolutionnaire provisoire. Il ne pourra pas alors s’auto-limiter aux tâches de la révolution bourgeoise. Confronté à l’opposition de la bourgeoisie, il devra prendre des mesures socialistes, notamment l’expropriation de secteurs capitalistes, sous peine de trahir le prolétariat. La révolution bourgeoise transcroîtra ainsi en révolution prolétarienne : c’est le processus de la révolution permanente, expliqué par Trotsky dans Bilan et perspectives1en 1906, qui se vérifiera en Russie en 1917, et que Trotsky étendra en 1929 aux pays coloniaux et néocoloniaux. La victoire de la révolution prolétarienne en Russie entraînera des révolutions prolétariennes dans des pays capitalistes plus développés d’Europe occidentale, prérequis pour la construction du socialisme en Russie.
- 1. https://www.marxists.org/ francais/trotsky/livres/bilanp/bpsomm.htm