Publié le Dimanche 1 octobre 2023 à 12h30.

Sainte-Soline : après la violence militaro-policière, l’offensive juridique

L’audience du 8 septembre dernier devant le tribunal de Niort met en lumière l’autoritarisme du pouvoir et les difficultés de la Justice à pénaliser, dans le cadre juridique actuel, les actions militantes.

 

Neuf prévenuEs comparaissaient vendredi 8 septembre devant le tribunal de Niort : les responsables départementaux de la CGT, de Solidaires, de la Confédération paysanne, l’ancien porte-parole national de cette même organisation, ainsi que Julien Le Guet (Bassines Non Merci), militant de longue date pour la préservation du Marais poitevin, et quatre autres militantEs du mouvement des Soulèvements de la Terre et de Bassines Non Merci.

Pour l’exemple

Le choix même de l’autorité judiciaire d’avoir regroupé ces neuf prévenuEs, poursuiviEs pour des faits différents, signale une volonté politique de faire là le procès « pour l’exemple » de l’ensemble de la mobilisation pour l’eau, dans les Deux-Sèvres et ailleurs.

Les chefs d’accusation étaient en effet variés : organisation de manifestation interdite, participation à un groupement en vue de commettre des violences, vol aggravé, dégradation ou détérioration du bien d’autrui, le tout à l’occasion de trois mobilisations : le printemps maraichin du 25-27 mars 2022, et deux mobilisations sur le site de Sainte-Soline, en octobre 2022 et mars 2023. Mais aussi « dégradation ou détérioration légère d’un bien par inscription, signe ou dessin »… ce qui désigne en fait un tag, à la peinture à l’eau, effectué par l’un des prévenuEs au cours d’une action militante.

Sous l’œil de la FNSEA

Le pouvoir judiciaire prenait là le relais du pouvoir exécutif dans un même mouvement de criminalisation des militantEs écologistes : c’était les fameux « écoterroristes » décrits par Gérald Darmanin à qui le président du tribunal de Niort a demandé longuement s’ils et elles « condamnaient les violences ». Le tout sous le regard du président de la FNSEA, présent dans la salle. Ce dernier prend en effet une part toute particulière dans le harcèlement judiciaire des militantEs qui osent s’opposer au modèle de l’agriculture intensive.  On se souvient de ses déclarations dans le Point, le 15 juin dernier : « L’impunité totale des Soulèvements de la Terre va conduire tout le monde à la guerre civile. La FNSEA, en responsabilité, appelle […] au calme et à la retenue. Mais je suis obligé d’ajouter que je ne suis pas sûr de tenir longtemps mes troupes. »… Dont acte, puisque le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre a finalement été présenté en Conseil des ministres le 21 juin suivant, alors qu’il était bloqué depuis mars, du fait des problèmes juridiques qu’il soulevait. Ce décret a depuis été suspendu par le Conseil d’État, qui estime que « ni les pièces versées au dossier ni les échanges lors de l’audience ne permettent de considérer que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes ».

Si ce premier camouflet infligé à Darmanin ne laisse en rien présager du résultat de ce procès, il résonne toutefois avec les difficultés qui ont assailli les magistrats, tant du siège que du parquet, lors de cette audience.

Pour quels délits ?

Parmi les éléments marquants de cette journée, on peut citer en premier lieu le fait même de poursuivre des individus pour « organisation d’une manifestation interdite » : si c’est effectivement interdit par le Code pénal, les poursuites sur ce fondement et les condamnations restent rarissimes. La Cour a dû à ce titre se pencher sur une question à laquelle elle donne sans doute une réponse différente de celle des prévenuEs : hurler dans un mégaphone, animer un cortège pendant une manifestation interdite, cela revient-il à l’organiser, au sens du droit pénal ? La réponse qui sera donnée à cette question est susceptible d’intéresser de nombreux militantEs.

Autre élément intéressant : le décalage entre le déluge de moyens de surveillance et de répression mobilisés à Sainte-Soline et l’absence d’éléments permettant d’établir la culpabilité des prévenuEs. C’est en effet ce que n’ont cessé de dire les avocats tout au long de la journée : impossible de savoir ce qui est reproché de manière circonstanciée à chacun.

Ce début de procès a pu également montrer que la structure du droit pénal peut (rarement, mais tout de même) mettre en difficulté les velléités de répression politique. Faute d’éléments concrets contre les prévenuEs, le tribunal s’est retrouvé à supposer leur seule « intention » de commettre un délit. Or, pour l’instant encore, il faut au moins qu’un délit ait été commis pour que l’on puisse condamner quelqu’un… Reprise le 28 novembre. o