Alléluia ! La croissance est de retour en France. Le gouvernement et la plupart des économistes se réjouissent. Mais de quelle « croissance » s’agit-il ? Et qui en profite ?
Le PIB (produit intérieur brut) de la France a progressé de 1,9 % en 2017. C’est le chiffre le plus élevé depuis 2011 (2,1 %). En 2012, la hausse était pratiquement nulle (0,2 %) et ensuite la croissance avait redémarré lentement.
Selon l’INSEE, cette accélération s’explique principalement par la hausse de l’investissement des entreprises et des ménages, surtout sur la deuxième partie de l’année 2017. L’investissement des entreprises a augmenté de 4,3 % (+ 3,4 % en 2016), et celui des ménages (il s’agit des achats de logements neufs) a accéléré de 5,1 % (+ 2,4 % en 2016). La reprise de l’investissement des entreprises s’explique d’abord par la hausse des profits dopée par les cadeaux de l’État (CICE, baisse de l’impôt sur les sociétés) et par le cycle normal des investissements : les équipements ont été peu renouvelés depuis quelques années, d’où une hausse du taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie qui retrouve son niveau du début 2008. Si la demande des ménages ralentit (+ 1,3 % après + 2,1 % en 2016), la demande extérieure est plus vigoureuse et les exportations progressent. La banque Natixis a sorti récemment une note intitulée « La dynamique du capitalisme est aujourd’hui bien celle qu’avait prévue Karl Marx » ; au-delà du contenu de la note, le titre a une part de vérité : les profits ont augmenté, la demande existe (malgré la compression des salaires et des prestations sociales), et il faut renouveler le capital.
L’économie française sur de bons rails ?
Emportée par on ne sait quelle substance hallucinogène, une journaliste économique du Monde titrait ainsi son article le 31 janvier : « L’économie française est désormais sur de bons rails ». Certes, les quelques dixièmes de points supplémentaires de croissance augmentent les recettes fiscales (TVA en premier lieu) et rendent plus facile la réduction des déficits, tout du moins tant que les taux d’intérêt ne remontent pas (ce qui accroîtra la charge de la dette).
Mais rien ne permet de dire si, au-delà de 2018, ce n’est pas le profil en « tôle ondulée » de la croissance, à l’œuvre depuis 2009-2010, qui va revenir : après quelques années passables, un fort ralentissement intervient (cela même si ne se déclenche pas la crise financière sous-jacente).
Ensuite, sans aucunement tomber dans le patriotisme économique, force est de constater que l’économie française, et d’abord l’industrie, est fort affaiblie par rapport à ses concurrents : l’industrie est tombée à 12,4 % du PIB (contre 16,5 % en 2000) et a perdu un million d’emplois. La production automobile a baissé de 25 % par rapport à 2007. La part de marché de la France dans les exportations de la zone euro continue de reculer.
Enfin, les créations d’emplois sont dérisoires par rapport au niveau du chômage : d’après les prévisions de l’INSEE, le taux de chômage ne devrait que légèrement reculer, pour atteindre 9,4 % de la population active à la mi-2018, contre 9,7 % aujourd’hui. De plus les emplois créés sont, comme avant la « reprise », souvent précaires. Ainsi, comme le reconnait un responsable de l’institut patronal COE-Rexecode cité par les Échos : « c’est grâce à l’intérim que les créations d’emplois sont positives » dans l’industrie (selon l’institut patronal, l’industrie a créé 10 000 postes en 2016). Une goutte d’eau par rapport aux millions de chômeurEs sur lesquels le discours dominant rejette la responsabilité de leur situation : « si vous ne trouvez pas de travail, c’est que vous n’êtes pas assez formés ».
Une reprise pour les riches
En fait, cette « reprise » profite surtout aux capitalistes et aux revenus élevés. Pour eux, tout se conjugue dans le sens d’une hausse de leurs revenus : hausse des plus-values boursières, dividendes versés par les entreprises, augmentation des prix de l’immobilier, éléments « annexes » de la rémunération, etc. Par contre, pour le reste de la population, c’est une spirale dépressive qui fonctionne : stagnation des salaires et des allocations, hausse de la CSG et recul des services publics.
Plus que jamais, notre anticapitalisme n’est pas indexé sur le taux de croissance. À 2 % ou 0,5 % par an, la logique mesquine et destructrice du capitalisme est la même. Pour y mettre fin, il faut s’attaquer au pouvoir de ceux qui profitent du système, et faire fonctionner l’économie sur d’autres bases et suivant une autre rationalité que celle qui prépare la prochaine crise financière et détruit la planète. Et dans l’immédiat, l’urgence est de s’atteler à construire la mobilisation contre les prochaines attaques annoncées par la bande à Macron.
Henri Wilno