Face à la crise, le FN tente d’apporter des réponses de repli nationaliste qui ne peuvent que remplacer une guerre économique par une autre. Alors que les menaces d’éclatement de la zone euro restent prégnantes, le Front national impose dans le débat public le thème de la « sortie de l’euro ». Lors de son premier meeting de campagne, le 11 décembre à Metz, Marine Le Pen l’a fait de façon particulièrement agressive et démagogique, stigmatisant les dirigeants de gauche qui « comme de vulgaires affairistes de droite, se sont soumis aux marchés financiers, à l’Europe ultra libérale, à la concurrence sauvage, défendant les banques et la monnaie des banques, l’euro. » Le retour au franc, dont elle prétend qu’il permettrait d’empêcher les délocalisations et fermetures d’usine, devient ainsi l’apanage des « nationaux » opposés aux « francophobes et européistes » du PS et de l’UMP.
Deux jours plus tard, le journal les Échos – lié aux cercles dirigeants de l’industrie et de la finance – se fendait d’un dossier spécial sortie de l’euro, consacré à démontrer qu’une telle mesure, nécessairement doublée d’une dévaluation, entraînerait une catastrophe économique bien pire que ce que l’on connaît aujourd’hui, avec la perte d’un million d’emplois en dix ans et une chute brutale des salaires. Peu importe que le « modèle » utilisé par l’Institut Montaigne, célèbre think-tank néolibéral, pour opérer de telles projections ait en réalité été élaboré pour mesurer l’impact économique de fluctuations monétaires mineures – il fallait répondre vite et cogner fort. Cette réaction est à la mesure de la peur des « marchés » face à la perspective de défauts en cascade sur le paiement des dettes publiques. Selon les Échos, le « scénario catastrophe » d’une sortie de l’euro provoquerait sur ce plan « un effet dominos presque instantané : la facture serait alors salée pour tout le monde, y compris les investisseurs non résidents » et les pertes financières seraient « concentrées sur les banques et les investisseurs institutionnels de la zone euro »…
Nous avons souligné à plusieurs reprises la contradiction fondamentale de l’euro et de l’Union européenne : une monnaie unique sans État, un espace de « concurrence libre et non faussée » sans politique économique commune, c’est-à-dire des constructions largement artificielles qui n’aboutissent qu’à consacrer la loi du plus fort, tout en développant des déséquilibres qui à terme menacent la stabilité de l’ensemble. Or, pour essayer maintenant de sortir de ce piège, les capitalistes et les gouvernement de la zone euro et de l’UE ne proposent qu’une fuite en avant, aggravant leurs caractéristiques antisociales et antidémocratiques. Les diverses solutions envisagées de « fédéralisme » conduisant à des « abandons de souveraineté » ne feraient que dessaisir davantage les peuples de la maîtrise de leur destin, tandis que la « règle d’or budgétaire » que le dernier sommet européen entend imposer ne conduirait, partout, qu’à davantage d’austérité et de misère.
Avec un maximum de démagogie, le FN s’efforce de surfer sur cette situation avec ses réponses « simples » de retour aux frontières, à la monnaie et à un capitalisme national, combinées à ses habituelles thématiques xénophobes et racistes. Il nous revient de démontrer que ces prétendues solutions signifieraient remplacer une forme de guerre économique par une autre, non moins périlleuse puisque les travailleurs de chaque pays se retrouveraient, comme durant la plus grande partie du xxe siècle, enrôlés derrière leur propre bourgeoisie nationale. Mais il est un fait que les ravages de la « construction européenne » des capitalistes et des financiers menacent aujourd’hui jusqu’à l’idée européenne.
Seuls les anticapitalistes peuvent proposer l’alternative d’une autre Europe, en rupture avec les traités et institutions existants, fondée sur la démocratie, la collaboration et la solidarité entre les peuples, l’harmonisation sociale par le haut, le développement de services publics communs. Une Europe dont le but n’est pas de payer les dettes publiques pour enrichir encore les riches mais de la répudier pour défendre les conditions de vie des travailleurs et des pauvres ; une Europe qui ne se propose pas de sauver les banques telles qu’elles existent aujourd’hui mais de les saisir et les socialiser, afin de mettre l’économie au service du plus grand nombre. En bref, une Europe qui commence à rompre avec le capitalisme.
Jean-Philippe Divès