Publié le Vendredi 9 mai 2025 à 10h00.

FSU : un congrès à la croisée des chemins

Le congrès de la FSU s’est tenu à Rennes du 3 au 7 février dernier.  Retour sur les enseignements du congrès d’une des grandes fédérations de la Fonction Publique au moment où le syndicalisme doit se réinventer face au danger de l’extrême droite et du libéralisme autoritaire.

Le processus, tout comme le temps même, d’un congrès de la FSU est assez unique dans le paysage syndical français. Il trouve son origine dans l’histoire de cette fédération qui a à peine plus de 30 ans.

 

La FSU : Un fonctionnement à part

Les textes, réunis en quatre thèmes, sont écrits par des équipes désignées au sein des syndicats nationaux, en respectant l’équilibre des tendances (Unité & Action, École émancipée, Émancipation, URIS, FU…) puis discutés et amendés dans des congrès départementaux. Une nouvelle mouture de chacun des thèmes, prenant en compte les différents amendements des sections départementales, est mise en discussion dans les commissions les premiers jours du congrès menant à de nouvelles séries d’amendements. 

Tout cela finit en plénière avec le vote d’ultimes amendements et de la version finale du texte. Si le processus est ainsi construit, c’est parce qu’il répond à une originalité constitutive des décisions au sein de la FSU (et certains de ses syndicats) : la synthèse. 

Constatant qu’une construction bureaucratique des rapports majoritaires/minoritaires, mêlés aux rapports entre syndicats nationaux, avaient causé l’éclatement de la FEN, les fondateurs et fondatrices de la FSU ont pris le parti d’inscrire dans leur fonctionnement deux éléments pour ne pas reproduire les erreurs du passé.

Tout d’abord des votes requièrent une majorité de 70 % pour être adoptés ce qui garantit globalement la recherche d’un consensus large. Mais surtout le processus de construction de ce qui est soumis au vote se fait dans un esprit, appelé synthèse, qui amène à des accords larges et partagés. Les objectifs sont de permettre des discussions de fond sur ce qui clive ou ne fait pas complètement accord et de trouver les solutions pour dépasser ces désaccords en garantissant l’application des mandats votés dans une volonté de mise en action des équipes départementales. Ainsi les textes sont largement votés car toutes les composantes de la fédération, à l’exception de celles et ceux qui refusent cette méthode, participent au cheminement intellectuel permettant la prise en compte de tous les points de vue.

La FSU repose en outre sur un triptyque inédit : les syndicats nationaux (SNUipp, SNES, FSU Territoriale, SNESup…), les sections départementales et les tendances.

Lors du congrès les sections départementales ainsi que les syndicats nationaux envoient un nombre de délégué·es défini statutairement. Afin que la composition du congrès reflète le vote d’orientation entre les tendances, chaque délégation est « colorisée », c’est-à-dire que chaque congressiste est défini par son appartenance à telle ou telle tendance. Et si la composition des délégations des départements et des SN ne reflète pas le vote d’orientation des tendances, une chambre de compensation permet de rétablir l’équilibre.

Si ce fonctionnement peut paraître complexe et très normé, il est, dans la pratique, probablement le plus avancé en termes de démocratie interne des syndicats de transformation sociale. Il permet un vrai débat d’orientation, dans un cadre démocratique incarné par les tendances, au contraire de débats d’orientation dont les enjeux sont parfois troubles pour les congressistes et se règlent à d’autres endroits entre personnes « autorisées ». Les tendances n’étant pas une garantie en soi, le fonctionnement en synthèse et le vote à 70 %, complètent cette volonté démocratique en dépassant les blocages tout en empêchant le piège d’un véto comme cela peut exister ailleurs.

Si tout n’est pas parfait et largement améliorable, que par ailleurs des tentations de mettre à mal ce fonctionnement existent, il a néanmoins prouvé une certaine efficacité pour faire vivre le débat et permettre aux orientations minoritaires, plus combatives, d’être prises en compte.

Un des enjeux de la réunification syndicale dont il a beaucoup été question durant cette semaine de congrès se situera aussi sur cet aspect : garantir à ce nouvel outil à construire un fonctionnement le plus démocratique possible quelles que soient les pratiques antérieures. Il faudra, pour les militant·es révolutionnaires, tirer des bilans communs issus de nos différentes appartenances et tenter au maximum de peser sur cet aspect fondamental des choses.

 

Un renforcement positif des mandats et des pratiques

Le cœur d’un congrès reste les textes qui y sont votés. Ces derniers sont découpés entre 4 thèmes. Le thème 1 s’occupe des questions éducatives, dans une fédération où plus de 70 % des syndiqué·es sont professeur·es, mais aussi de formation ou de culture. Le thème 2 est lui tourné sur les services publics, ses personnels et les statuts. Le thème 3 traite quant à lui des questions écologiques, internationales et sociales (la question des discriminations notamment mais aussi le féminisme avec un zoom spécifique). Enfin le thème 4 est celui qui traite du fonctionnement fédéral mais aussi des questions de syndicalisme, notamment d’unité syndicale, comme de l’extrême droite (là aussi avec un zoom spécifique).

Sur chacun des thèmes, des avancées notables ont pu être obtenues.

Sur les questions éducatives, l’analyse du rapport entre parcours scolaires et inégalités est renforcée. Si la revendication d’un lycée polytechnique n’est pas encore majoritaire, la reconnaissance de la hiérarchie scolaire dans la reproduction des inégalités a été posée. Et s'il y a une difficulté de passer au-delà de syndicats nationaux qui défendent leurs spécificités, comme l’enseignement professionnel, la question d’une refondation du lycée a été portée. C’est la même logique de défense de corps qui a prévalue sur les classe préparatoires, outils de démocratisation pour certain·es. Un réflexe corporatiste, qu’aucune étude sérieuse ne corrobore, mis à mal par de nombreuses interventions, réclamant non pas l’élargissement des filières sélectives de ce type mais des moyens pour tout le supérieur et sans sélection.

Sur les services publics, la question de la nationalisation du privé, mandat rejeté par le SNES notamment, est désormais posée au travers d’un mandat d’étude. A minima, l’exigence d’arrêt du financement immédiat a été inscrite. D’autres éléments ont pu être renforcés comme la consolidation des augmentations salariales via le point d’indice et non des pourcentages. Le thème 3 a permis d’avancer sur l’engagement de la fédération dans les débats sur la sécurité sociale alimentaire. Le travail en commission a levé certaines incompréhensions, liées notamment à un contexte particulier autour de la Sécurité sociale (et les négociations autour de la protection sociale complémentaire) rendant possible la participation de la FSU au travail collectif. Du point de vue du vocable, des progrès notables ont pu être réalisés en avalisant l’utilisation des mots issus des recherches en sciences sociales et faisant figurer le mot génocide en ce qui concerne la situation en Palestine. Et le droit de vote des étranger·es à toutes les élections a enfin pu être inscrit dans les mandats.

Le thème 4 était, au vu de la période, au centre de beaucoup d’attentions. Entre un zoom extrême droite, la question de la maison commune et celle du rapport au politique, ce thème revêtait une importance particulière. Si sur l’extrême droite il a été assez facile d’arriver à une analyse partagée, intégrant la question du racisme qui ne figurait pas dans l’écriture initiale, le cheminement complexe autour de la question sensible de la réunification syndicale a été plus laborieux. 

L’autre point positif de ce congrès est sans aucun doute un renforcement notable des pratiques démocratiques internes. La synthèse entre syndicats nationaux et entre tendances est restée l’aiguillon des commissions comme des plénières. 

Mais c’est aussi la place des délégations des sections départementales et les pratiques à l’interne de ces dernières qui prouvent un dynamisme démocratique qu’il faut poursuivre. Réussissant à repousser les tentations du fait majoritaire à différents échelons, la FSU continue de construire un capital démocratique qui devra forcément trouver une traduction dans le futur outil syndical de luttes et de transformation à construire.

 

Des faiblesses et obstacles à lever

Derrière un panorama positif, le congrès FSU n’est pas sans critique. Il a fallu affronter un certain nombre de blocages dont certains demeurent importants.

Ainsi, si la synthèse a permis le dépassement des désaccords, les tentatives et tentations futures de réaffirmer le fait majoritaire sans synthèse comme mode de fonctionnement existe réellement. Ce fonctionnement où les minoritaires ne peuvent participer aux décisions quotidiennes d’orientation et la mise en action du syndicat est le fonctionnement de certains syndicats nationaux de la fédération à commencer le plus gros d’entre eux, le SNES. Un fonctionnement vertical à rebours des évolutions récentes du mouvement social en général mais qui permet de maintenir des rapports de pouvoir qui ne répondent pas aux enjeux de la période.

Répondre aux enjeux de la période aurait justement aussi nécessité plus de volontarisme aussi bien dans la construction d’un nouvel outil syndical que dans le rapport au politique. S’il ne s’agit pas d’évacuer les questions complexes qui se posent, particulièrement dans des syndicats où les histoires, y compris récentes, rendent cela très complexe, les petits pas du congrès de Rennes peuvent sembler manquer d’ambition. Et si l’enthousiasme de la CGT et de Solidaires ne sautent pas non plus forcément aux yeux, le volontarisme, lié à l’analyse de la situation, ne surgit pas non plus des mandats adoptés à Rennes. Quant à la construction d’un nécessaire front social et politique sur une base revendicative minimale, il n’est malheureusement qu’à peine esquissé.

Tout ceci, et c’est une critique forte qui, quelques semaines après se vérifie, aurait pu se décanter dans un texte action de fin de congrès se donnant les moyens de la confrontation avec le pouvoir en place. Il n’en a rien été, le texte de clôture de congrès n’ayant pas posé les bases d’un plan d’action même a minima. Alors que la « crise », qui s’est amplifiée depuis, devrait pousser à une activité plus forte, notamment autour de la redistribution des richesses, il n’a pas été question d’accélération à tous les niveaux.

Un écueil qui, malgré la pression combative de certaines sections, syndicats nationaux et tendances minoritaires, n’a pu être levé. Cette frilosité dans une sorte de business as usual, s’explique en partie par la difficulté réelle de la période. Mais elle ne répond pas au rôle que le syndicalisme de lutte et de transformation sociale devrait jouer dans la période laissant les mains trop libres au capitalisme et ses exécutant·es.

C’est pourtant dans l’action conjointe que les questions d’unification et de rapport au politique avancent comme le montrent aussi bien les luttes féministes que la mobilisation contre la réforme des retraites. Des mobilisations qui font reculer l’extreme droite et permettent d’imaginer des futurs désirables.

Il appartient donc aux révolutionnaires et à toutes celles et ceux qui partagent l’idée de l’impasse capitaliste de poursuivre ce chemin unitaire et tourné vers la mise en action.