Publié le Jeudi 11 septembre 2025 à 14h00.

À l’école, la lesbophobie tue

Le suicide de Caroline, professeure des écoles dans le Cantal, après des mois de harcèlement, menaces et injures en raison de son orientation sexuelle, provoque la sidération et la colère face à la réalité de la lesbophobie en France, mais aussi face aux insuffisances de l’Éducation nationale.

Cela a commencé par une inscription peinte sur le mur de son école : « sale gouine ». Cette école du petit village de Moussages dans le Cantal, Caroline Grandjean en était la directrice. Elle accuse le choc, alerte sa hiérarchie et dépose une plainte qui sera plus tard classée sans suite. À peine est-elle revenue d’arrêt maladie que les insultes reprennent, de plus en plus abjectes. « Gouine = pédophile », « dégage sale gouine » puis une menace de mort déposée dans la boîte aux lettres de l’école : « va crever sale gouine ».
Le village est embarrassé, visiblement plus gêné par les absences de la directrice et la mauvaise publicité que par les insultes lesbophobes. Quant à la direction académique, elle propose à Caroline Grandjean de changer d’école. Elle refuse, en disant que ce n’est pas à la victime de fuir. On tente de lui imposer cette mutation loin de chez elle, « pour son bien ». Finalement, en août 2024, à quelques jours de la rentrée, c’est une nouvelle inscription lesbophobe qui aura raison de sa détermination : elle ne fait pas la rentrée, elle n’en a plus la force.

Inversion de culpabilité

Cela lui est reproché. Après tout, n’est-ce pas elle qui a insisté pour rester à Moussages ? Qui a dénoncé l’affaire dans les médias ? Comble du cynisme et de l’indifférence, la mairie se félicite d’une rentrée « sereine », sans Caroline Grandjean.
Quelques jours avant son suicide, elle écrivait à ses collègues que cette deuxième rentrée scolaire où elle manquerait à l’appel serait très difficile pour elle. Il n’y en aura pas d’autre. Lundi 1er septembre, jour de la rentrée des classes, elle s’est jetée du haut d’une falaise, non loin de chez elle, non loin de l’école d’où la haine lesbophobe l’avait chassée.

Il n’y aura pas de minute de silence pour Caroline Grandjean. Le ministère de l’Éducation nationale les réserve à ceux dont les morts peuvent être instrumentalisées pour justifier les politiques sécuritaires et islamophobes.

Il n’y aura pas de minute de silence, parce que la mort de Caroline Grandjean renvoie la société tout entière à sa culpabilité de fermer les yeux et de laisser prospérer la lesbophobie, le ministère à son insuffisance coupable à protéger l’une de ses agentes alors qu’elle était attaquée pour ce qu’elle était. La seule chose qu’il y aura, c’est une enquête administrative. Il y a fort à parier qu’elle conclura que l’Éducation nationale n’a rien à se reprocher, qu’elle a fait « ce qu’il fallait » pour Caroline Grandjean.

Sauf que ce n’est pas suffisant. Avant Caroline, il y a eu les suicides de Lucas, Dina, Avril, des adolescentEs harceléEs à l’école parce que LGBT. Se donner bonne conscience par des déclarations de principe contre les discriminations, se contenter de mettre les victimes à distance, cela ne suffit pas.

Ecouter la colère

Même si cela dérange, il faut entendre ce que disait Caroline avant sa mort. Le dilemme impossible, subir ou céder, dont elle ne pouvait sortir. Le silence des habitantEs du village, le silence de ses collègues, le soutien insuffisant de sa hiérarchie, et les petites remarques — qu’elle a vécues comme autant de coups de poignard supplémentaires.

Il n’y aura pas de minute de silence, du moins pas à l’initiative du ministère, mais depuis l’annonce de sa mort, une vague d’émotion immense traverse l’ensemble des travailleurEs de l’Éducation nationale et les associations LGBT. Au rassemblement organisé vendredi 5 septembre devant la rue de Grenelle, les témoignages ont montré que la souffrance de Caroline n’était pas un cas isolé.

Malgré les beaux discours, les LGBTphobies sont toujours présentes au sein de l’Éducation nationale et de ses structures. Il n’est pas normal que des personnes doivent faire le choix entre cacher qui elles sont ou risquer leur travail voire leur vie.

Pour Lucas, Dina, Avril, pour Caroline et pour touTEs les autres, il est temps d’obliger l’Éducation nationale à prendre de vraies mesures pour qu’on ne meure plus d’être lesbienne, gay, bi ou trans à l’école.

Raphaël Alberto et Tamara DeVita