À chaque réforme des rythmes scolaires, le débat est confiné à des questions techniques : horaires, chronobiologie et séquençage. La réforme actuelle autour du « temps de l’enfant » se présente comme une réponse à la fatigue des élèves, mais elle contourne les sujets essentiels : les conditions d’apprentissage, le sens de l’école, les inégalités sociales et le travail enseignant. Le projet ne s’inscrit dans aucune réflexion éducative ; il accompagne plutôt la transformation d’un service public en structure flexible mais non émancipatrice.
Un cadrage technique pour éviter le politique
En expliquant la fatigue scolaire par un simple mauvais découpage des journées, la réforme évite toute remise en cause structurelle : surcharge des programmes, effectifs trop élevés, manque de temps long pour les apprentissages, pression évaluative, prolétarisation du métier d’enseignant.
Le message implicite est clair : l’école n’est pas un lieu de construction du savoir, mais un système à optimiser. Les questions pédagogiques sont escamotées, tout comme le rôle social de l’institution. Le débat sur le temps masque celui sur les moyens.
Des journées réorganisées et des inégalités renforcées
Derrière le discours sur le bien-être de l’enfant, la réforme organise un déplacement d’une partie des activités vers les collectivités, les associations ou des prestataires privés. Ce transfert crée mécaniquement une école à plusieurs vitesses : ateliers riches et personnel qualifié dans les communes favorisées ; solutions minimales ailleurs.
L’ajustement des horaires ne tient pas compte des réalités des familles populaires : horaires décalés, transports scolaires, emplois précaires. Un début des cours plus tardif peut se traduire par davantage de garderie, plus de temps d’attente, plus de discontinuités. Là où les parents ne pourront compenser, les enfants subiront.
Le découpage matin scolaire / après-midi pratique proposé par la convention perpétue aussi la hiérarchie des savoirs. Il risque d’assigner certainEs élèves, souvent issuEs des classes populaires, à des activités considérées comme moins centrales, réduisant encore l’accès effectif aux savoirs ambitieux.
Une réforme sans moyens donc une réforme qui fragilise
L’absence de moyens est la ligne constante de la réforme. On modifie les rythmes sans toucher aux effectifs, aux locaux, au temps de préparation, à la formation, à la stabilité des équipes. Ce qui est présenté comme une simplification alourdit en réalité le travail : plus de transitions, plus de coordination externe, plus de fragmentation.
Les disciplines déjà fragiles (les arts, l’enseignement physique, les sciences) risquent de se retrouver cantonnées aux espaces périphériques de la journée. Cela entérine une vision utilitariste du temps scolaire : le matin pour les essentiels (le français, les mathématiques, l’histoire, peut-être), le reste pour occuper ou gérer.
Pour une vraie réflexion sur le temps scolaire
Il faut agir sur ce qui produit réellement les inégalités. D’abord, réduire les effectifs : aucune journée sereine n’est possible dans des classes surchargées. Ensuite, donner du temps aux équipes pour préparer, se former, travailler ensemble.
La stabilité et la qualification des personnels sont aussi indispensables. On ne construit pas un rythme cohérent pour les enfants avec des adultes précariséEs ou constamment renouveléEs. De même, un périscolaire réellement égalitaire doit être garanti nationalement ; sinon, les écarts entre communes se creusent mécaniquement.
Penser le temps de l’enfant, c’est enfin adopter une approche globale : sommeil, déplacements, vie familiale, loisirs, conditions matérielles.
Reste la question centrale : comment articuler le temps de l’enfant avec celui du travail des adultes ? Tant que l’école compensera les horaires éclatés et les contraintes du marché du travail, aucune réorganisation technique ne pourra améliorer durablement le quotidien des élèves.
Radu Varl