Chassés jeudi 26 juin de la salle d’un bar « entre deux gares » par les supporters du match Allemagne-Etats-Unis, la réunion organisée par les cheminotEs du NPA, avec la participation d’Olivier Besancenot, s’est finalement tenue dans un petit parc proche de la gare de l’Est... entre familles et gamins tapant dans un ballon. Cette discussion animée a regroupé des cheminotEs du NPA, des grévistes de « base » et des responsables syndicaux locaux. Extraits. Olivier Besancenot : Le premier constat, c’est la capacité de la direction de la SNCF, vaccinée par la grève de 1995, à « gérer » une grève reconductible massive, grâce à la présence massive d’« encadrantEs » pouvant faire rouler des trains et inonder les gares par une contre-information efficace. Dans le même temps, une quasi-impossibilité d’accès, pour les grévistes, aux médias pour expliquer les motifs et la réalité de la grève. Mais au total, une mobilisation qui n’engendre pas de découragement en raison de l’implication de nombreux salariéEs, combatifs, qui commencent à chercher les moyens de dépasser les hésitations, les reculs des états-majors syndicaux et de travailler à la « coagulation » des secteurs en lutte. Mathieu (Paris-Est) : Notre combat vise à empêcher l’éclatement de la SNCF, menant à la privatisation des secteurs profitables, et l’abrogation du RH0077 encadrant nos conditions de travail. Ce gouvernement aux ordres du Medef a décidé de briser notre lutte. L’intersyndicale CGT-SUD-Rail a joué un rôle contradictoire : d’un côté un rôle unitaire positif qui a permis de dépasser le sectarisme réciproque et de mettre les cheminotEs en mouvement, mais qui a aussi encadré cette mobilisation et qui l’a limitée à l’ouverture de négociations, sans exigence du retrait de la réforme. Cette contradiction s’est concrétisée par exemple autour de la première manifestation aux Invalides et de la mise en place de l’AG des AG. Un point positif, c’est aussi le début de convergence des luttes avec les intermittentEs, les postierEs, etc. Par contre, dans les problèmes non résolus figurent la question du fric et d’une caisse de grève. Arnaud (Saint-Lazare) : Les pourcentages de grévistes étaient très importants, avec une mobilisation portée par les jeunes dont c’était les premières AG, la première grève... Et la première confrontation avec les appareils syndicaux. À Saint-Lazare, des grévistes « de base » ont tenu les piquets de grève, fait les tournées, rédigé le « Journal de la grève », participé à l’AG des AG. Ce début d’auto-organisation a été préparé par des mobilisations locales dans les mois précédents. Il n’y a pas de démoralisation, et maintenant il faut essayer de maintenir les acquis de l’auto-organisation, de l’AG des AG. Mathieu (Versailles) : Nous n’avons jamais eu accès aux médias pour expliquer les motifs de notre lutte. Nous ne nous sommes pas battus pour garder une « prime de charbon » (1) mais contre l’éclatement de la SNCF, pour sa réunification, pour un service public de qualité. Avec une mobilisation forte, notamment en Île-de-France. Le gouvernement a choisi l’affrontement contre la « conscience » cheminote, contre le service public, pour nous écraser comme « corps social ». Nous devons lui opposer un syndicalisme de classe qui soit clairement opposé à la réforme, aux amendements. L’AG des AG ne saurait être une coordination alternative : il faut s’organiser pour se réapproprier les organisations syndicales, pour la lutte. La solidarité, la caisse de grève ont manqué. Basile (Paris-Est) : Je viens de vivre la grève la plus enthousiasmante depuis que je suis dans la boîte. On a eu raison de tenter des choses, d’essayer de nous battre autrement pour sortir des défaites. Avec des chiffres de grève identiques à ceux de 1995 ou 2007, des trains ont roulé grâce aux « progrès » techniques et organisationnels fait par la boîte. En 95, des trains pouvaient être « perdus » du fait de la désorganisation… Cette fois-ci, il y a eu des bons moments « pêchus » : manifestation aux Invalides, à Montparnasse. Moments qui font aussi qu’il n’y a pas de démoralisation. Il faut des initiatives pour relayer et construire la coordination au plus près du terrain. Les initiatives en direction des usagerEs ont été très bien perçues. Pour la caisse de grève, les « anciens » nous recommandaient, à l’embauche, de mettre chacun un mois de salaire de côté pour faire face… Gilles (Paris-Nord) : La direction a été capable de mobiliser 10 000 personnes contre la grève. Les liens avec les intermittentEs, la manifestation à Montparnasse ont donné la pêche, malgré les tensions avec les états-majors syndicaux. Il y a des choses qui fâchent, comme le spot publicitaire de la direction contre la grève, sur le thème « la SNCF aide les handicapés malgré la grève », alors que cette aide est maintenant assurée par une filiale… Mais je pense qu’il va y avoir des rebondissements dans les mois qui viennent. Gabriel (Saint-Lazare) : Les états-majors syndicaux CGT et SUD-Rail ont eu une politique commune dans la grève, sauf au moment où SUD-Rail a quitté la table des négos. À part cet épisode, la fédé SUD-Rail ne s’est pas démarqué de la fédé CGT qui a pourtant essayé de se débarrasser de cette grève, et qui a réussi au bout de 10 jours. La manif des Invalides a été imposée par les AG parisiennes contre un rassemblement bidon à Ourcq porté par la fédé CGT. C’est cela qui a amené à la mise en place de l’AG des AG, même si elle n’a pas été complètement aboutie, faute de mandatement. Il faudra tirer le bilan de cette lutte et préserver les acquis d’auto-organisation, de coordination. Christophe (Saint-Lazare) : SUD-Rail ne s’est pas aligné sur la CGT, malgré nos propres faiblesses. Dans notre fédé, les initiatives doivent venir de la base, mais le bureau fédéral est presque une « boîte aux lettres ». Attention à ne pas trop critiquer les syndicats : certains prennent leur carte syndicale, d’autres la rendent... Dans les AG, il y avait parfois des grévistes « intermittents » mais très radicaux, et l’AG des AG est arrivé trop tôt, sans discussion dans les organisations syndicales. La caisse de grève pose des problèmes : les sommes collectées sont toujours insuffisantes : comment et qui peuvent-elles aider vraiment ? En tout cas, on sort avec la patate. Guillaume (Austerlitz) : La caisse de grève est une tradition à remettre à l’ordre du jour. Même si le seul syndicat qui a encore une caisse de grève, c’est la CFDT ! La grève « perlée », c’est un problème. Il y a eu des investissements inégaux. À nous de convaincre que la seule manière de gagner, c’est la grève reconductible. Mais la grève se construit au quotidien : prendre des initiatives mais en même temps débattre dans le syndicat. L’AG des AG est un premier pas. Laurence (Saint-Lazare) : À chaque décision importante, comme le « Journal de la grève », la reconduction, le rassemblement à Invalides contre Ourcq... ça a été la baston contre les bureaucraties syndicales. L’AG des AG a commencé à être un outil pour construire la mobilisation. Fabio (Saint-Lazare) : La direction a construit une véritable organisation anti-grève en 15 ans, en modifiant la sociologie de l’entreprise, avec une montée en puissance des « petits chefs ». L’unité syndicale CGT-SUD, c’est une bonne chose au départ, même si des bureaucrates, il y en a partout. Pour la solidarité, en 95 on pouvait compter sur les municipalités de gauche, PCF et même PS pour fournir les repas aux grévistes, aider les familles. Basile (Paris-Est) : Le bilan, notamment sur le moral, on le tirera après les paies de juin et juillet. Le prochain mouvement sera, et devra, être différent. La grève, c’est l’aventure. En 2010, à Paris-Est, la caisse de grève a permis de donner 30 euros par jour et par gréviste, au-delà des 10 jours. Les syndicats, c’est utile mais dans la mobilisation, ils ont l’air perdus et n’organisent pas la lutte au quotidien. Propos recueillis par Robert Pelletier1 – Prime « légendaire » qui n’existe plus depuis les années 1970 et la fin des locomotives… à charbon. Seuls les conducteurs en bénéficiaient.
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