Ali Algul, membre de la CGT commerce, est délégué central du personnel de Carrefour, où la CGT est la troisième organisation syndicale. Il nous reçoit à l’union locale (UL) d’Ivry-sur-Seine.
Ali, qu’est-ce qui te frappe dans le bilan des journées d’action de la semaine du 20 décembre ?
C’est l’ampleur du mouvement revendicatif chez Carrefour mais aussi l’extrême diversité des formes que cela prend, dans un groupe qui compte quand même 110 000 salariés. À la veille des Négociations annuelle obligatoires (NAO), la CGT avait appelé à une semaine d’action en ajustant ses modalités aux réalités des rapports de forces dans les établissements. Elle avait mis l’accent dans sa propagande sur la lutte contre la poursuite du « plan Bompard » par lequel l’employeur a déjà fait passer une bonne trentaine d’établissements en « location gérance », c’est-à-dire, après une période de transition de quinze mois, à de nouveaux contrats salariaux avec de nouveaux employeurs, permettant de fractionner encore plus les conditions d’emploi et de rémunération.
Vu la taille de l’entreprise et la dispersion des sites, on pouvait s’attendre à ce que la participation soit inégale !
Oui, et on n’en a pas encore une vision détaillée et complète mais on a bien senti que la multiplication des conflits salariaux dans d’autres secteurs du commerce et de la grande distribution a poussé les gens à se mettre aussi en mouvement. Dans la mesure où les équipes syndicales sont souvent peu expérimentées, on a vu une grande diversité des réactions à l’initiative des journées d’action, mais nettement au dessus de ce qu’on espérait. Ici à Ivry-sur-Seine, par exemple, le Carrefour du quartier du Port est parti en grève à partir d’une proposition intersyndicale CFDT-CGT-FO et d’un tract élaboré localement, centré sur la lutte contre la mise en location-gérance : il y a eu 80% de grévistes et la direction a dû fermer le magasin pour la journée. La faiblesse c’est le flou extrême sur le niveau de salaires revendiqué, mais les gens ont bien senti leur force. 80% c’est un très bon chiffre mais on a d’autres situations intéressantes, avec des cas de grèves même minoritaires, comme à Bercy, avec 20% de grévistes, et une kyrielle de situation intermédiaires, comme à L’Hay-Les-Roses où un tract CGT-CFDT a été diffusé, exigeant 300 euros pour tous, l’unité de statut des salariés travaillant sous l’enseigne Carrefour et aucun salaire en dessous de 1500 nets…
Les profits incroyables qu’annonce le groupe font bouger les gens ?
Oui, pour 2020, le groupe a déclaré un chiffre d’affaire en hausse de 7,8 %, soit 78 milliards d’euros en plus ! Dont un milliard d’argent public sous forme de CICE. Carrefour n’a pas gagné autant d’argent depuis vingt ans : +57 % de bénéfices. Ça fait réfléchir mais il n’y a pas encore de convergence vers une formule de revendication unifiante. Il y a du flou entre une augmentation égale pour tous et des salaires minimum à 1500 ou 2000 euros net, plus l’inquiétude sur la perte d’un interlocuteur unique avec les mises en location-gérance. Mais on avance !
Carrefour, c’est du pilotage patronal haut de gamme. Pas facile à contrer établissement par établissement.
Oui, ils cherchent d’un côté à se débarrasser de ce qui ne leur garantit pas des bénéfices à deux chiffres, et à rester aussi proche que possible du SMIC. Mais, en plus, ils gèrent aussi la valeur de leurs emprises foncières. À Bercy, par exemple, l’Hyper est au cœur d’une gigantesque opération immobilière avec la commune de Charenton et des terrains SNCF et des entrepôts disponibles, plus les tours géantes projetées à l’entrée de Paris. À Ivry, les bâtiments où se trouve le magasin sont largement sous-employés et la direction du groupe se prépare à une restructuration d’envergure, en y mouillant la municipalité. Pas facile, pour des salariés qui cherchent avant tout à défendre des salaires extrêmement bas, de se battre avec des logiques de profit aussi complexes. Mais, là, on a commencé à inverser la tendance.