Ford n’avait pas tout prévu. Contrainte par une longue mobilisation, elle rachète fin 2010 l’usine dont elle s’était débarrassée 20 mois auparavant, sans avoir défini ce qu’elle en ferait. Son premier geste est donc la mise en place d’un plan de 336 suppressions d’emplois : uniquement des départs volontaires (préretraites notamment) histoire de mieux faire passer la pilule, de banaliser l’opération, en essayant de diviser le personnel et en s’appuyant sur l’écœurement des salariés pressés de partir. La direction l’a joué trop « facile ». Elle bricole un document, présentant un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) bâclé, incohérent, dangereux pour l’avenir de l’usine. Alors que Ford promet de l’activité (« du travail pour tous ceux qui veulent ») il n’y a aucun engagement ferme pour l’après 2011, date de fin de la production actuelle. L’équipe CGT dénonce ce PSE : les 336 départs (25 % de l’effectif) ne peuvent que fragiliser le site, laissant partir du savoir-faire sans garantir du travail pour ceux qui restent, le danger étant que Ford prépare la fin du site. En plus des exigences sur l’arrivée d’un vrai projet « structurant », sur la réintégration de l’usine dans le plan de production Ford, la CGT défend des conditions de départ décentes pour les anciens (1 500 euros minimum, 75 % des salaires) essayant de conserver les liens entre générations. Nos convictions emportent les hésitations. La mobilisation contre le PSE se construit pour renforcer la pression. Le 4 mars, à l’appel de la seule CGT, 130 grévistes envahissent la salle où se tient la réunion du comité d’entreprise (CE) pendant la deuxième réunion de consultation sur le PSE. Tout est filmé par les médias régionaux. La direction est mise en difficulté. Dans la foulée, l’intersyndicale se reconstitue autour d’une plateforme commune : garantie des emplois, pérennité du site et amélioration des conditions de départs des anciens. Le 15 mars, plus de 500 grévistes participent à une audioconférence avec Ford Europe, à la suite d’un ultimatum des syndicats. Ford répond à côté et baratine ; le 17 mars, une journée de blocage de l’usine est bien médiatisée : plus de 300 grévistes, une journée sans camion, une réunion PSE envahie par les salariés… La direction s’enlise. Face à des syndicats unis, elle subit plusieurs échecs. Le CHSCT vote une expertise pour analyser l’impact du PSE sur la santé des salariés et refuse de donner un avis sur le PSE. Le CE étant en droit d’attendre l’avis du CHSCT pour donner le sien, la finalisation du PSE est largement repoussée. La direction, énervée et agressive, n’a plus la maîtrise totale. Ce qui aurait dû passer tranquillement devient un casse-tête. Le délai obtenu doit fournir aux syndicats, aidés par des experts économiques et une avocate, de convaincre les salariés de continuer à se mobiliser pour changer la donne. Depuis, comme par hasard, les événements se précipitent : une future transmission automatique pourrait être fabriquée ici et des ingénieurs américains viennent fin mars en étudier la faisabilité. Le projet pourrait être validé en avril par la Ford Motor Company. Ford doit garantir l’avenir du site avant le bouclage du PSE. Une opération de blocage de l’usine durant plusieurs jours est également à « l’étude »… si les engagements ne viennent pas. Le bras de fer continue.Correspondant