Interview de David, délégué syndical CGT de la Raffinerie de Donges (44).
Peux-tu revenir sur ce qui a motivé le démarrage de la grève à Donges et dans toutes les raffineries en septembre ?
Le contexte de forte inflation des prix de près de 7 % conjugué aux bénéfices pharaoniques du groupe TotalEnergies ont conduit la CGT à appeler à une première journée de grève lors de la négociation salaire de la Branche pétrole le 27 septembre dernier.
La proposition patronale d’une augmentation de 4 % des salaires en 2023 a fait réagir les salariéEs des sites de Normandie, Oudalle, La Mède, Feyzin et Flandres qui ont voté la grève reconductible. À Donges, nous avons fait les trois premiers jours de grève puis suspendu le mouvement. Le collectif de travail avait besoin d’une prise d’élan avant une reprise en reconductible à partir du 12 octobre. Sur le site de Grandpuits, les expéditions ont été bloquées plusieurs jours par semaine.
Les revendications des travailleurs en grève, soutenus par la CGT, étaient claires : une revalorisation salariale immédiate à hauteur de 10 % pour 2022, l’embauche des salariéEs en contrats précaires, intérimaires et CDD, puis un plan d’investissement chiffré pour nos sites afin de répondre aux enjeux environnementaux et aux besoins des populations. Nos camarades des plateformes d’ExxonMobil étaient eux aussi en grève avec des revendications assez similaires.
Comment a fonctionné la grève : AG, réunion intersyndicales, manifestations, relation avec les autres raffineries, avec d’autres boîtes autour ?
L’historique social des sites pétroliers fait que les travailleurEs, et notamment ceux exerçant des activités de production, sont familiers des AG du personnel et des prises de parole en début de poste de travail. Ce sont des espaces d’échanges qui s’additionnent aux AG des grévistes et des syndiquéEs CGT.
Notre fédération et notre coordination CGT TotalEnergies nous ont permis d’échanger entre sites afin de planifier des temps forts dans la mobilisation. L’interpro est également un élément de soutien essentiel. À Donges, nous avons réuni 200 militantEs, certains de SUD ou de FO, d’autres d’ATTAC, ou bien du NPA, de la FI ou du PC, le vendredi 14 octobre. Le 18 octobre, nous nous sommes réunis avec les travailleurEs sous-traitants des entreprises présentes à la raffinerie. Nous défendons un site, un statut face à un patronat qui met les travailleurEs en concurrence et use de contrats commerciaux au rabais qui impactent les conditions sociales du collectif de travail. La bataille des salaires ne fait que commencer.
Quel impact des réquisitions, de la répression en général ?
Les réquisitions sont un outil gouvernemental au service du patronat pour casser la grève. Elles constituent une forme de travail forcé, utilisées contre les salariéEs, contre leur seul recours de défense véritablement efficace qu’est la grève. On voit ici à l’œuvre le néolibéralisme autoritaire de Macron qui réquisitionne des grévistes mais pas les profits du CAC 40. En attendant, imaginer ou voir des collègues grévistes aller au boulot entre deux flics a fini de convaincre certains non-grévistes d’entrer dans le mouvement.
Quel contenu de l’accord CFDT-CGC/direction ?
Les directions de la CFDT et de la CGC ont montré à trois reprises lors de ces grèves à quel point elles œuvraient pour les patrons et le gouvernement. Par trois fois, elles sont venues à leur secours en apposant leurs signatures à des accords largement en dessous des revendications des salariés : à la Branche pétrole, puis chez ExxonMobil et enfin chez TotalEnergies. Cette collaboration sociale est écœurante et vécue comme une énième trahison par bon nombre de grévistes.
L’accord salaires 2023 signé par la CFDT et la CGC dans l’urgence chez TotalEnergies ne répond pas à l’inflation 2022 et semble faire abstraction des 18,8 milliards de dollars de bénéfices pour le seul premier semestre 2022, et du fait que les actionnaires viennent de toucher 2,6 milliards de dividendes bonus ! Il contient tout de même une augmentation plancher pour les plus bas salaires. Nul doute que sans la mobilisation, cette mesure n’aurait pas figuré à l’accord. Nous avons arraché le minimum possible de ce que pouvait céder une entreprise multimilliardaire, qui a fait le choix du tout pour l’actionnaire au mépris des salariéEs.
Comment expliques-tu les différences de réactions dans les raffineries (reprise du boulot pour certaines, continuation pour d’autres) ?
Une fois l’accord signé, les salariéEs grévistes de Donges ont choisi d’éviter les risques d’enlisement et de délitement du collectif alors que les possibilités de négocier semblent désormais bloquées avec la direction générale.
Si les collectifs de travail sont sensiblement les mêmes d’un site à l’autre, le vécu récent diffère. Certains sites ont connu des investissements structurels quand d’autres subissaient des plans de licenciements. Les revendications locales ne manquent pas et c’est le choix qu’ont fait certains salariéEs de poursuivre la grève sur cette base. À Donges, en avril dernier, une grève locale de trois semaines portait sur les embauches, la ré-internalisation des métiers sous-traités et la reconnaissances des qualifications. Ce sont notamment ces revendications qui sont aujourd’hui portées à Normandie et Feyzin.
Comment vois-tu la suite notamment autour des dates du 27 octobre et du 10 novembre ?
On peut regretter, au niveau national, que la bataille des salaires n’ait pas suffisamment fait l’objet d’un mot d’ordre commun, qui aurait pu être la ré-indexation des salaires sur l’inflation. Mais les prochaines dates serviront de point d’appui aux nombreux secteurs actuellement en grève et permettront à notre camp de se préparer aux prochaines attaques gouvernementales.
Propos recueillis par Robert Pelletier