Entretien. Alexis Louvet (Solidaires RATP) et John Borges (CGT RATP), du dépôt bus de Pleyel (Saint-Denis), ont répondu, ensemble, à nos questions sur la préparation de la grève du 17 décembre.
Quel est l’objectif du projet Île-de-France Mobilités pour la RATP et la SNCF ?
John Borges : IDFM [Île-de-France Mobilités] souhaite rester l’entité publique qui organise les transports de voyageurs en Île-de-France, mais seulement avec des opérateurs privés. Ils obligent la RATP et la SNCF à répondre aux nouveaux appels d’offre uniquement avec des filiales de droit privé. Pour le réseau existant, il serait entièrement ouvert à la concurrence suivant un calendrier (décembre 2024 pour le réseau bus) et seuls des opérateurs privés pourront y répondre.
Quelles sont les principales conséquences pour les salariéEs ?
Alexis Louvet : C’est une remise à zéro de cinquante ans d’acquis sociaux arrachés par les luttes : temps de travail, roulements de ligne, réglementation « fortes chaleurs », déroulement de carrière, jours fériés, repos, congés annuels... Le CST (« Cadre social territorialisé ») vanté par ceux que j’appelle les liquidateurs de la RATP (État et région) est même moins favorable que la convention collective du Transport urbain ! Merci la « loi travail » !
Quel impact pour les usagerEs ?
JB : À l’approche des élections régionales, Valérie Pécresse se garde bien de s’éterniser sur le sujet, car c’est bien la patate chaude qui risque de lui faire perdre la région... On l’a d’ailleurs vue très gênée lors d’un débat sur la question avec notre camarade Alexis Louvet.
Pour expliquer l’impact négatif aux usagerEs, on s’appuie sur exactement les mêmes expériences déjà appliquées dans d’autres pays, et qui se sont toutes avérées être un échec, surtout pour les usagerEs.
La raison est simple : contrairement à une entreprise publique, l’objectif d’une entreprise privée est de réaliser des bénéfices. Bénéfices reversés ensuite en dividendes aux actionnaires... Et que font ces entreprises pour tirer les bénéfices vers le haut ? Elles coupent sur la masse salariale (baisse d’effectifs), sur l’investissement dans les infrastructures, sur la maintenance. Et quand le bénéfice ne suffit pas aux actionnaires, on augmente les tarifs pour les usagerEs. C’est ainsi qu’à Londres par exemple l’usagerE se retrouve avec un abonnement mensuel à 415 euros par mois, avec du matériel mal entretenu, qui tombe plus régulièrement en panne et engendre beaucoup plus de suppressions et de retards...
Quel est le calendrier des attaques ?
JB : Il faut rappeler que ce sont des directives européennes qui incitent les États à ouvrir les réseaux de transports publics à la concurrence. C’est ensuite ce gouvernement ultralibéral (bien encouragé par la majorité de droite à la région Île-de-France, présidée par Valérie Pécresse) qui suit ces directives, mais rien ne les y oblige, mis à part leur soif de libéralisme et leur soumission au capitalisme. C’est pour cela que la LOM [loi d’orientation des mobilités] à été votée en 2019, et prévoit, en suivant un calendrier, la mise en concurrence de l’intégralité du réseau de transport public francilien, avec pour obligation pour les EPIC (entreprises publiques à caractère industriel et commercial) RATP et SNCF de répondre aux appels d’offre avec des filiales de droit privé. C’est tout simplement, à terme, la privatisation des transports de voyageurs dans toute l’Île-de-France.
En parallèle, le gouvernement entend sous peu publier les décrets portant sur les conditions de transfert dans un premier temps, fin 2024, du personnel bus RATP et sa maintenance (MRB) vers les entreprises de droit privé auxquelles seraient cédées l’exploitation du réseau. Ces décrets portent aussi sur le cadre social territorialisé (CST) censé définir les nouvelles conditions de travail des agentEs transférés.
Quel est le calendrier de la riposte ?
AL : La riposte est difficile à organiser dans ce contexte sanitaire incertain. L’intersyndicale UNSA-RATP, CGT-RATP, Sud-RATP, SAT-RATP et Solidaires Groupe RATP a d’abord coché la date du 19 novembre sur le calendrier, avant de suspendre l’appel à la grève, pour ne pas priver de transports les soignantEs, les personnes ayant besoin de se déplacer pour se faire tester, les travailleuses et travailleurs du nettoiement et du nettoyage, etc. Fin novembre, comme la situation sanitaire semblait s’améliorer, la date du 17 décembre a été retenue. Cette fois, il n’y aura pas de suspension du mouvement, mais cette journée a été préparée dans l’urgence, ce qui n’est jamais facile. Il faudra tirer le bilan de cette première mobilisation avant d’organiser la suite, en jonglant entre les contraintes spécifiques de cette période si particulière.
Comment se prépare la journée du 17 décembre à Pleyel ?
AL : Ici, on a l’habitude de travailler en intersyndicale depuis de nombreuses années. Les équipes militantes CGT, UNSA et Solidaires Groupe RATP ont organisé des heures d’info syndicale et des distributions de tracts communes, et les collègues sont réceptifs. Pour le 17, nous avons lancé une invitation aux habitantEs et militantEs du secteur (qui nous avaient soutenuEs pendant la grève contre la retraite par points) : venez partager avec nous le petit-déjeuner, dès 6 h, devant le dépôt. Ce sera l’occasion de fêter la bataille victorieuse pour les retraites, mais aussi d’échanger avec les autres grévistes du territoire, je pense évidemment aux agentEs communaux de Saint-Denis, en grève depuis plusieurs mois pour défendre leurs acquis sociaux.
Propos recueillis par nos correspondantEs