La rupture conventionnelle, qui permet àun patron de se débarrasser d’un salarié «à l’amiable» se révèle être un outil redoutable dans les mains du patronat.
Derrière les plans sociaux, déjà bien peu médiatisés, se cachent une multitude de licenciements qui ne font l’objet d’aucune publicité. Les fins de mission des intérimaires et le non renouvellement des CDD en sont un exemple. Mais il existe, depuis l’été 2008, une autre procédure de licenciement, appelée «rupture conventionnelle». Ce nouveau dispositif légal est la transposition de l’accord interprofessionnel signé en janvier 2008 par la CFDT, la CFTC, la CGC, FO et le patronat. La CGT a refusé de signer sans pour autant s’opposer au principe du texte.
Le ministère du Travail vient de publier un premier bilan du dispositif. Depuis son entrée en vigueur, près de 150000 ruptures ont été validées par l’inspection du travail. Depuis le début de l’année 2009, elles ne cessent d’augmenter (13617 en mars, 18222 en juillet) et les refus de validation des inspecteurs sont en baisse (13% en moyenne).
La rupture conventionnelle s’insère dans un cadre de flexibilisation de la main d’œuvre. Le fonctionnement est simple. Un salarié et son employeur trouvent un accord pour mettre fin au contrat à durée indéterminée (CDI) qui les lient. Au cours d’une négociation, ils se mettent d’accord sur un calendrier et sur l’indemnité. Le salarié a la possibilité de se faire accompagner et dispose d’un délai de rétractation de quinze jours. Ce délai épuisé, l’employeur envoie la demande à l’inspection du travail, qui valide ou non la démarche. L’inspection doit s’assurer qu’elle n’est pas le produit de pressions de l’employeur et que celui-ci ne tente pas de contourner ses obligations en termes de plan social par exemple.
Ce dispositif peut séduire des salariés excédés par leurs conditions de travail ou les pressions qu’ils subissent. Il leur permet de toucher une indemnité minimale de rupture (égale à l’indemnité légale de licenciement1) ainsi que des allocations chômage.
Pour les patrons, le système est tout bénéfice. En simplifiant les procédures, il leur permet de faire l’économie de plans sociaux, plus réglementés et plus coûteux et leur évite d’avoir à justifier le motif de séparation et tout recours judiciaire.
Mais ce système est en fait un véritable piège idéologique contre le salarié par lequel le patronat gagne à tous les coups. D’une part, vu le nombre de demandes, il est impossible aux inspecteurs, trop peu nombreux et surchargés, de s’assurer de façon systématique du bien-fondé de chaque procédure. Seules les demandes les plus grossières sont rejetées. D’autre part, ce dispositif fait partie d’une offensive coordonnée contre les fondements du code du travail. Il renforce l’individualisation de la gestion de la main d’œuvre – le rêve de toutes les directions des ressources humaines – et permet au patronat de saper à la base les possibilités de mobilisation collective.
Mais surtout, la rupture conventionnelle s’inscrit dans le cadre de contrat civil et non plus de contrat de travail. Elle enracine l’idée que le salarié et son employeur se trouvent dans la négociation sur un pied d’égalité. Et c’est bien là le cœur de cette réforme du marché du travail chère au gouvernement et au patronat. Déjà, les avocats des patrons s’efforcent de plus en plus de se référer aux principes du contrat civil (égalité des contractants, qui permet de signer tout et n’importe quoi ou presque) opposé à ceux du contrat de travail (qui suppose une inégalité de position entre l’employeur et l’employé, entre celui qui possède les moyens de productions et celui qui loue sa force de travail). Si le patronat parvient à ses fins, les fondations du code du travail, déjà fortement ébranlées, s’écrouleront définitivement et lui laisseront les mains entièrement libres.
Henri Clément
1. un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de 10 ans d’ancienneté.