Alors que les classes se sont retrouvées vides de professeurEs à la rentrée, que l’inflation plonge une partie de la population dans la pauvreté et que notre système énergétique est à bout de souffle, le champ politique et médiatique a choisi de polémiquer sur… le barbecue. Nous publions une contribution sur la question.
Sandrine Rousseau a déclaré aux journées d’été d’EÉLV, qu’« il faut changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité. » S’en est suivie une vague de harcèlement misogyne sur les réseaux sociaux, qui peut nous inquiéter sur la stupidité des êtres de genre « masculin » quand les argument de types préhistoriques font leur apparition.
La viande comme marqueur social genré
Revenons à nos moutons (ou à nos biftecks) : existe-t-il un lien, comme Sandrine Rousseau le déclare, entre la virilité et le fait de manger de la viande ? Le rapport genré à la nourriture est un sujet pourtant étudié en sciences sociales. Quand on regarde de plus près, nous avons effectivement des pratiques alimentaires très différentes selon que l’on est un homme ou une femme. Les hommes ont par exemple un apport énergétique 38 % supérieur à celui des femmes, alors qu’elles font plus de régimes et sont plus susceptibles de développer des troubles du comportement alimentaire (TCA). Les hommes mangent également plus de viande, et notamment plus de viande rouge.
Qu’est-ce qui se joue alors symboliquement dans le fait de manger de la viande ? Manger de la viande, c’est tout d’abord vu comme le fait d’acquérir de la force. On associe d’ailleurs encore trop souvent le fait d’être musclé/sportif/en bonne santé au fait de manger de la viande, grâce aux sacro-saintes protéines (alors que les protéines présentes dans la viande viennent à l’origine de végétaux). La force physique étant liée aux représentations occidentales que l’on se fait de la masculinité, le fait de manger de la viande aussi, par extension.
Mais manger de la viande, c’est aussi manger un animal qui a été tué (ou qu’on a tué dans le cas de la chasse, activité majoritairement masculine). L’acte d’ingérer un animal, c’est donc appartenir à ceux qui peuvent se permettre de s’approprier le corps d’autrui : c’est donc en lien avec une prise de pouvoir sur ce qui nous entoure (la nature, les autres). C’est affirmer qu’en tant qu’humain, on a des privilèges comme celui de manger le corps des animaux. D’ailleurs, refuser de participer à cet ordre social est plus réprimé socialement quand on est un homme qu’une femme : les hommes végétariens sont plus dénigrés que les femmes végétariennes. Cela prouve encore une fois que la masculinité est renforcée par la consommation de la viande, et que le fait de ne pas le faire rendrait moins viril.
Un système d’oppression et d’exploitation
Pour aller plus loin, des chercheuses se sont même demandé s’il n’y avait pas un lien entre l’oppression patriarcale et l’oppression subie par les animaux (que l’on peut appeler spéciste, c’est-à-dire le fait de justifier un traitement discriminant comme le fait d’élever, enfermer ou tuer des animaux car ils appartiennent à une espèce différente de la nôtre). Carol J. Adams a démontré qu’il existe des recoupement très forts entre la façon dont les animaux et les femmes sont traités dans la société. Tout d’abord, les femmes sont souvent animalisées. Qui n’a jamais entendu parler des femmes avec des noms d’animaux comme « les poulettes » « les gazelles », ou encore des femmes parler de leur expérience de harcèlement en étant « vue comme un morceau de viande » ? Les femmes, comme les animaux, sont également vues plus proches de la nature, souvent essentialisées et rattachées à la sphère reproductive. En bref, l’oppression spéciste est bien reliée à un système d’oppression et d’exploitation, qui est loin d’être étranger au patriarcat.