Il y a quelques semaines, les intersyndicales femmes ont réuni pendant deux jours, à la Salle Olympes de Gouges à Paris, plus de 400 militantes et militants venu·es de toute la France et même d’autres pays et continents. Alors que l’égalité réelle entre les femmes et les hommes n’est toujours pas effective, ce rendez-vous annuel a permis, à nouveau, de prendre du recul sur nos combats, et de réfléchir ensemble à de nouvelles problématiques ou à des thèmes en lien avec l’actualité.
Organisées quelques jours après un 8 mars puissant, les intersyndicales femmes ont aussi été l’occasion de faire résonner théorie et pratique pour penser et construire la suite de nos mobilisations féministes et syndicales.
Se retrouver entre militantes syndicales féministes dans un contexte où les inégalités se maintiennent
Aujourd’hui encore, la vie professionnelle des femmes est marquée par de nombreuses inégalités. Dans le privé, les femmes gagnent 24 % de moins en moyenne que les hommes1, tandis que dans la fonction publique, leur salaire net en équivalent temps plein est en moyenne inférieur de 11,3 % à celui des hommes2. Sans parler de la retraite, où l’écart se creuse avec des pensions inférieures de 39 %3.
Le couple et la vie familiale génèrent d’autres inégalités. Ainsi les femmes occupent toujours 80 % des emplois à temps partiel et prennent 95 % des congés parentaux4. À la maison, elles gèrent la charge mentale et la double journée de travail, et consacrent encore près de deux fois plus de temps aux tâches domestiques que les hommes5.
Enfin, la question des violences sexistes et sexuelles est toujours prégnante : dans une société où les femmes sont entre 67 % et 90 % à être victimes d’atteintes sexistes, les violences sexistes et sexuelles restent très présentes dans tous les champs de la vie des femmes, jusqu’aux féminicides dont les chiffres ne baissent pas.
Dans ce contexte, les intersyndicales femmes permettent chaque année de se retrouver, militantes de la CGT, de la FSU et de l’Union syndicale Solidaires, pour réfléchir collectivement à la question des droits des femmes, mesurer les discriminations à l’œuvre dans tous les champs de nos vies, constater les avancées et les chemins qu’il reste à parcourir, et discuter des moyens d’action pour y parvenir.
Mises en place en 1997, à l’initiative de quelques femmes syndicalistes qui voulaient « penser le rapport entre syndicalisme et féminisme »6, les Journées intersyndicales femmes sont devenues un moment annuel important pour prendre du recul sur notre militantisme quotidien, échanger dans la sororité, se former, et dessiner les contours de nos futures victoires.
Au fil de quatre tables rondes, des chercheuses du monde universitaire, des militantes syndicales, associatives, politiques débattent à bâtons rompus avec la salle.
Intersyndicales 2024 : des thématiques d’actualité pour réfléchir aux enjeux féministes et construire nos luttes de demain
Impossible d’évoquer les intersyndicales femmes 2024 sans balayer les quatre thèmes présentés et débattus cette année. Sans faire une synthèse des débats, partageons quelques lignes des questions abordées, sachant que les actes de ces journées d’étude seront disponibles l’an prochain.
La grossophobie, angle mort des luttes féministes
Un premier focus a été fait sur les injonctions du paraître et le refus des normes esthétiques. Avec Daria Marx, écrivaine et bloggeuse, autrice notamment de 10 questions sur la grossophobie et Mathilde, autrice-compositrice-interprète.
Sur un ton très décalé, cette table ronde a été l’occasion de discuter d’un angle mort de nos luttes féministes : la grossophobie. Discrimination genrée et systémique, en lien avec le privé et l’intime, la grossophobie s’organise dans tous les champs de notre vie : système éducatif, santé publique, accès aux vêtements. Elle génère violences physiques et verbales, inégalités de l’accès aux soins, exclusions et injonctions permanentes à correspondre à une norme artificielle.
Les intervenantes ont rappelé que la grossophobie mêle discrimination genrée et racisée, qu’elle a une histoire et qu’il est indispensable que les mouvements féministes s’en emparent.
Notre action syndicale a aussi été questionnée : refuser de tenir des évènements dans des lieux où les sièges ne permettent pas d’accueillir certaines personnes, pointer les particularités de cette discrimination dans nos combats féministes, nous avons une responsabilité pour dénoncer et faire cesser la grossophobie.
Les effets de l’IA sur les inégalités de genre
Sujet d’actualité, l’intelligence artificielle était aussi abordée mais sous le prisme du genre. Alors que les nouvelles technologies et notamment l’IA sont partout, qu’elles impactent nos vies professionnelles et nos conditions de travail, cette table ronde avait pour objet de discuter des effets de l’IA sur les inégalités entre les femmes et les hommes.
Autour de quatre intervenantes très complémentaires, ont été évoquées la nécessité de penser les développements techniques contemporains en féministes avec Pauline Gourlet, chercheuse et enseignante en sciences politiques, les inégalités qui régissent les espaces numériques (algorithmes biaisés, exclusion des femmes de l’histoire du numérique ou encore cyberharcèlement) avec Mathilde Saliou, journaliste et autrice de Technoféminisme, comment le numérique aggrave les inégalités, et la place des femmes dans le numérique avec Catherine Ladusse qui a participé à la rédaction du rapport du Haut Conseil à l’égalité de septembre 2023 intitulé « La femme invisible dans le numérique. Le cercle vicieux du sexisme ». Khadija Bouloudn, déléguée syndicale de l’entreprise de nettoyage Onet, est venue témoigner de l’impact de ces nouvelles technologies sur le travail. Il s’agissait de voir comment dégager des pistes de résistance face à ces discriminations nombreuses dont les organisations syndicales doivent s’emparer.
Les métiers du soin en quête de reconnaissance
En lien direct avec le monde du travail, le débat sur les métiers du soin et du lien a permis de mettre en avant des professions très féminisées grâce aux témoignages de Cécile Stassi, AESH (accompagnante des élèves en situation de handicap) et d’Irène Delort, orthophoniste. Ces deux professionnelles ont montré l’investissement que demandait leur métier tant en termes de formation que de compétences, de charge mentale et émotionnelle, et la moindre reconnaissance attribuée, notamment au niveau salarial. Ces interventions ont renforcé la présentation de l’enquête en ligne menée par les économistes Rachel Silvera et Séverine Lemière, auprès de plusieurs milliers de salariées des professions du soin et du lien aux autres, qui montre, entre autres, une sous-valorisation de leurs qualification et savoir-faire, des difficultés à gérer les plans émotionnels et physiques de leurs métiers, et une invisibilisation de nombreuses compétences développées pour s’occuper des autres au quotidien. Pour finir ce débat, la Directrice du service d’actions féministes et d’équité salariale de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec a évoqué leurs nombreuses luttes sur le terrain de l’égalité professionnelle.
Luttes féministes : égalité, sexualité et luttes de classe
Il était aussi question de combats lors de la table ronde intitulée « Construire nos luttes féministes » qui a particulièrement résonné avec les mobilisations autour du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. La diffusion de quelques scènes du film de Nina Faure We are coming a permis d’entendre la précieuse parole de plusieurs femmes qui racontent leurs désirs, leurs luttes quotidiennes pour l’égalité, leur rapport à leur corps. Puis Fanny Gallot, historienne, est revenue sur l’implication des femmes dans les mobilisations sociales de tous temps et sur l’évolution de leurs modalités d’actions. La question des outils, s’agissant entre autres de la non-mixité ou de l’utilisation de l’écriture inclusive, a également été discutée par Annick Coupé, syndicaliste, et Clémentine Otto-Bruc, spécialiste du genre.
Enfin, la présentation du dernier livre de Suzy Rojtman Féministes, luttes de femmes, luttes de classe et le concert donné par la chanteuse Mathilde après un apéro féministe ont permis d’allier convivialité et discussions informelles entre camarades.
Dans un contexte marqué par le regain des luttes féministes depuis plusieurs années déjà, autour notamment du mouvement #Metoo, et alors que nos organisations syndicales construisent depuis de nombreux mois le mot d’ordre d’une grève féministe, le 8 mars 2024 a rassemblé des milliers de femmes, lycéennes, étudiantes, salariées, agentes de la fonction publiques, chômeuses, retraitées… déterminées à agir pour l’égalité dans tous les champs de la vie.
Les intersyndicales femmes 2024 s’inscrivent dans ces mobilisations pour nos droits. Ces quatre tables rondes ont permis de débattre de différents concepts à la lumière de nos expériences militantes et de faire les allers-retours indispensables entre la théorie et la pratique de notre militantisme féministe. Ces journées ont été l’occasion, cette année encore, de se sentir plus fortes dans nos luttes syndicales féministes.
Si, comme le concluaient nos camarades dans l’ouvrage Toutes à y gagner, vingt ans de féminisme intersyndical : « Rien n’est jamais acquis […] c’est à chaque instant et dans tous les domaines qu’il faut se battre », alors ces intersyndicales femmes nous ont donné de l’énergie pour toute l’année, de quoi rester déterminées à combattre les inégalités et gagner de nouveaux droits !
- 1. Note de l’Observatoire des inégalités publiée le 4 mars 2024 : « À travail égal, salaire égal ? ».
- 2. Rapport annuel sur l’état de la fonction publique, édition 2023.
- 3. INSEE, « Femme et hommes : l’égalité en questions », éditions 2022.
- 4. Tract intersyndical « Pour l’égalité réelle, toutes et tous mobilisé-es pour le 8 mars ».
- 5. Observatoire des inégalités : « Comment favoriser le partage du travail domestique entre les femmes et les hommes ? », 7 mars 2023.
- 6. Annick Coupé, « Le temps de la lutte », avant-propos à Toutes à y gagner, vingt ans de féminisme intersyndical, mars 2017.