Le projet de loi sur la prostitution fait actuellement des allers-retours entre Assemblée nationale et Sénat. Le mouvement féministe en général et le NPA en particulier sont divisés sur l’attitude à adopter par rapport à ce projet. Les deux tribunes ci-dessous visent à éclairer ce débat.
Tribune 1 : Rien pour les prostituées, tout pour la répression
La prostitution ne peut être considérée comme un travail comme un autre et notre objectif est sa disparition. Mais le projet de loi actuellement en discussion est essentiellement axé sur la répression et ne propose que de très faibles moyens pour améliorer la situation des personnes prostituéEs et notamment permettre aux femmes voulant sortir de la prostitution de le faire.Si l’abrogation du délit de racolage, le principe de la mise en place d’une aide financière pour les personnes désirant sortir de la prostitution et la reconnaissance de la prostitution comme une violence faite aux femmes peuvent éventuellement être considérés comme des avancées, cette proposition de loi comporte des éléments qui nous semblent inacceptables.
Des mesures inacceptablesPour commencer, les prostituées sans-papiers suivant un parcours de sortie de prostitution obtiendraient un titre de séjour de six mois renouvelable mais en échange de leur sortie de la prostitution : si elles sont reprises en situation de prostitution, elles redeviennent expulsables. Cela fait l’impasse sur leurs conditions de vie et pose, en pratique, la prostitution comme un délit à punir.Concernant les associations de soutien aux personnes prostituées, la loi pose problème sur deux points. D’une part, elles seraient placées dans une position de contrôle et de répression. D’autre part, la loi maintient une définition du proxénétisme qui ne porte pas exclusivement sur le fait de tirer un bénéfice de la prostitution d’une personne, mais même de l’aider ou de la protéger, définition qui rend très difficile le travail de ces associations et la solidarité entre les prostituéEs.Des mesures qui s’inscrivent dans le cadre de politiques d’austérité et de répressionDe plus, s’inscrivant dans le cadre des politiques d’austérité du gouvernement, cette loi ne donne aucun moyen pour s’attaquer aux causes de la prostitution : rien pour lutter contre la traite ; rien pour lutter contre la précarité et la pauvreté, pourtant une des causes principales de l’entrée dans la prostitution ; des moyens matériels et humains dérisoires pour accompagner la sortie de la prostitution.Enfin la mesure de pénalisation du client risque surtout d’avoir des effets pervers en termes de violences ou d’accès aux soins parce qu’elle contraindra les personnes prostituées à se cacher davantage et renforcera, dans les faits, le pouvoir des clients sur elles.
Pour des mesures d’urgence sociales, féministes et anticapitalistes !Nous ne soutenons donc pas cette loi qui, dans une approche sécuritaire d’un problème social et sociétal, va surtout accroître le contrôle des prostituées, en particulier étrangères, et détériorer leur situation. Elle rendra la prostitution moins visible mais ne participera pas à sa disparition.A contrario de ce qui est proposé, nous considérons que pour faire disparaître la prostitution, les revendications à mettre en avant sont l’accès aux droits sociaux, la régularisation de toutES les sans-papierEs, l’allocation d’autonomie des jeunes, la hausse des minimas sociaux, et la facilitation du changement d’état civil pour les trans. C’est autour de ces revendications que devrait se construire un mouvement féministe et social capable de peser sur la situation.
Elsa Collonges (Grenoble, Commission nationale intervention féministe)
Tribune 2 : Pourquoi le NPA ne doit pas s’opposer à la loi
La loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel comporte des insuffisances, mais également des avancées significatives…À commencer par la pénalisation des clients (article 16 de la loi) : en s’attaquant à la « demande », on agit afin de tarir la source même du système prostitutionnel. Mais loin de se cantonner à cette mesure emblématique, cette loi en comporte d’autres qui contribuent également à définir une politique globale visant à l’abolition de la prostitution. Plus globalement, elle a le mérite de poser le débat et de remettre en cause les lieux communs sur la prostitution (« plus vieux métier du monde », etc.).Un des points positifs de la loi fait l’unanimité : l’abolition du délit de racolage public. De fait, les prostituéEs ne sont plus considéréEs comme coupables. La France rompt ainsi avec son ancienne politique prohibitionniste.En conséquence, une part importante de la loi est consacrée à la protection et aux droits des victimes de la prostitution. La loi prévoit notamment :– la création d’un « parcours de sortie de la prostitution » (articles 3, 4 et 6) ;– la mise en place « d’un système de protection et d’assistance », d’une aide financière, d’une aide au logement, de places dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale pour toute personne victime de la prostitution (article 3) ;– la création d’un fonds dont le but sera de soutenir des actions de sensibilisation (article 4) ;– la délivrance d’un titre de séjour de six mois, renouvelable pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution (article 6). Cette mesure est évidemment insuffisante. Dans le cadre de cette loi, il faut exiger la régularisation sans condition de l’ensemble des prostituéEs sans papierEs.Ces mesures sont applicables sans autre condition que celle de la sortie de la prostitution.La loi ne remet pas en question la définition du proxénétisme. Toutefois, on peut supposer que, dans ce nouveau cadre, la définition existante serait un frein au travail des associations. En effet, la loi crée un partenariat entre l’État et les associations afin de mettre un terme à la prostitution. Des aides financières sont même allouées à ces dernières, notamment afin de proposer une aide au logement (article 8).
La loi comprend une dimension pédagogique, d’une part à destination des élèves (article 15), et d’autre part en direction des clients : ils pourraient être tenus de participer à un « un stage de sensibilisation » (article 17).Malgré les insuffisances de cette loi, elle comporte plus de points positifs que de points négatifs. Le NPA ne doit donc pas participer aux mouvements d’opposition globale à cette loi. Il serait en effet regrettable de ne pas reconnaître qu’il y a là une volonté de lutter contre la prostitution reconnue comme une violence faite aux femmes.Pour autant, le NPA doit interpeller le ministère des Droits des femmes sur l’insuffisance des moyens qui lui sont octroyés par le gouvernement Hollande. Cette insuffisance est due à une absence de volonté politique : la majeure partie des prostituéEs étant constituée de personnes sans-papiers et en grande précarité, la politique xénophobe de Manuel Valls et la politique générale d’austérité de ce gouvernement risquent de limiter l’efficacité de toute mesure visant à abolir la prostitution.
Commission d’intervention féministe des Pyrénées-Orientales