Dans la nuit du lundi 30 mars au mardi 31 mars, le Sénat a voté la proposition de loi sur la lutte contre le système prostitutionnel (déjà adoptée par l’Assemblée nationale) avec un amendement majeur : la ré-introduction du délit de racolage passif en lieu et place de la pénalisation des clients.
Avant cette modification, cette loi paraissait déjà contre-productive. En effet, une véritable politique abolitionniste ne peut se mettre en place en commençant par pénaliser les clients. La prostitution se nourrit autant du patriarcat que de la misère. Pénaliser avant de changer les mentalités n’empêchera pas la demande masculine d’exister. Et vouloir résoudre la question de la prostitution sans améliorer préalablement les conditions matérielles de vie des femmes est une impasse.Les effets d’une telle proposition seraient donc inefficaces, voire renforceraient les violences faites aux personnes prostituées. La prostitution subsistera tant que la demande existera, pénaliser les clients ne fait que déplacer la rencontre entre ceux-ci et les personnes prostituées dans des lieux moins sûrs.En remplaçant la pénalisation des clients par le délit de racolage passif, les sénateurEs UMP vont encore plus loin et envoient un signal fort : le problème de la prostitution ne serait pas dû à une demande masculine mais à la présence d’une offre – majoritairement – féminine. Une fois de plus, les violences patriarcales sont mises sur les épaules des femmes. Symboliquement, cela renvoit également à l’image de « la femme » fautive et coupable, dont la seule présence– c’est bien ce que signifie le terme « racolage passif » – tenterait « l’homme » qui, à cause de ses « pulsions sexuelles irrépressibles », ne pourrait que céder à la tentation...
Abolir la prostitution ou dominer les femmes ?En pratique, le délit de racolage passif est également un instrument de domination patriarcale, capitaliste et raciste. Ainsi, cette mesure s’attaque à des femmes pauvres et vise à les maintenir dans cette pauvreté : on les rend toujours plus vulnérables (forcées d’aller dans des lieux toujours plus obscurs), d’autant que l’on déresponsabilise totalement les clients. Ces derniers pourraient d’ailleurs user plus facilement du chantage pour obtenir ce qu’ils souhaitent puisque les prostituées seraient constamment en situation d’illégalité.Cette mesure est également raciste : les prostituées sans papiers sont dès lors doublement traquées.Enfin, la lutte contre les réseaux de proxénétisme passe au second plan. On ne protège pas les victimes en les réprimant, on les rend toujours plus dépendantes économiquement et matériellement de ceux-ci. Si la faute est portée sur les prostituées, les réseaux organisés sont rendus invisibles.Ainsi, ces mesures capitalistes, racistes et patriarcales ne répondent donc pas à une politique d’abolition de la prostitution. Seules des mesures féministes, anticapitalistes et antiracistes, peuvent mener à celle-ci : lutter pour de meilleures conditions de vie, pour la régularisation des sans-papiers, pour une éducation à la sexualité non sexiste ; protéger et non réprimer les victimes de la prostitution ; s’attaquer aux bases de la prostitution : la précarité, le patriarcat, et l’État capitaliste qui est complice du commerce du sexe et qui en tire profit.
Arya Meroni