Vendredi 16 juin, est décédé au Mexique Esteban Volkov, petit-fils de Léon Trotsky et dernier témoin vivant de l’attentat meurtrier qu’il a subi, commis par Ramón Mercader, le 21 août 1940. Nous reproduisons un article d’hommage.
À 97 ans, Esteban Volkov, le petit-fils de Trotsky, l’un des derniers survivants des purges de Staline, est parti. Né en 1926, Sieva – comme l’appelaient celles et ceux d’entre nous qui l’aimaient – a vécu de près le stalinisme. Sa mère, Zinaida Bronstein, connue sous le nom de Zina, était la fille de la première compagne de Trotsky, Aleksandra Sokolovskaya, une éminente révolutionnaire indépendante. Son père, Platón Volkov, membre du syndicat des enseignants, a été abattu en 1937. La sœur de Zina, Nina, est décédée de la tuberculose en 1928. Sa fille, Volina, alors âgée de trois ans, a été confiée à sa grand-mère Aleksandra, qui dirigeait l’opposition de gauche à Leningrad.
En janvier 1931, Zinaida obtint un visa pour commencer un traitement à l’étranger et arriva à Prinkipo, en Turquie, où Trotsky était en exil. Elle avait le petite Sieva avec elle, mais elle laissait Platón et son autre enfant, Aleksandra. Accablée par la mort de sa sœur Nina, dont elle s’était occupée pendant qu’elle était elle-même malade, Zinaida se rendit à Berlin pour se faire soigner. Sieva est resté avec Trotsky et Natalia Sedova, sa deuxième épouse, il n’a donc pu rejoindre sa mère qu’à la fin de 1932. Terrifiée par le nazisme et criblée de maladies, Zina s’est suicidée au gaz le 5 janvier 1933.
Ensuite, Sieva, sept ans, a été confié à Lev Sedov – né en 1905, fils de Trotsky et Natalia – qui l’a emmené à Paris, où il a vécu et dirigé le mouvement trotskyste. Cependant, en 1938, Sedov perdit la vie à la suite d’une opération de l’appendicite bien qu’il ait été très certainement empoisonné par les agents de Staline1.
Arrêtée en 1935 par la Guépéou, la grand-mère Aleksandra a été vue pour la dernière fois dans un camp de travail de la Kolyma en 1937. Volina a été perdue dans les purges, tout comme Aleksandra Volkov, la sœur de Sieva. Platón a été abattu en 1938.
L’odyssée de Sieva n’était pas encore terminée. D’après ce qu’il m’a lui-même dit, il vécut quelque temps à Paris sous la garde de Dina Vierny (Dina Aïbinder, 1919-2009), collectionneuse, galeriste et muse du sculpteur Aristide Maillol, mais une militante trotskyste et parfois amante de Vlady, le fils de Victor Serge.
Au Mexique
En 1939, Marguerite Thévenet et Alfred Rosmer, anciens militants ouvriers et amis de Trotsky, emmènent Sieva au Mexique, au terme d’une longue bataille juridique entre Trotsky et Jeanne Martin des Pallières, la veuve de Sedov, pour obtenir sa garde. Sieva avait alors treize ans. En mai 1940, il fut blessé lors de l’attaque de Siqueiros contre Trotsky ; il a rencontré l’homme qui serait finalement le meurtrier, le croyant être un camarade, et en août, il a vu son grand-père tué.
Les 83 années suivantes, Sieva vécut au Mexique de manière relativement calme, prenant soin de la mémoire de son grand-père et aidant à créer des institutions telles que le Museo Casa León Trotsky, dédié à la mémoire du révolutionnaire russe. Il entreprit également une carrière scientifique, se maria et eut quatre filles, toutes des femmes brillantes. Et surtout : il n’a jamais perdu espoir dans la possibilité de construire un monde meilleur.
La vie de Sieva symbolise la tragédie d’une révolution qui se dévore elle-même. On pourrait dire que le 20e siècle avec ses utopies et ses cauchemars meurt avec lui – maintenant oui – ; mais, en même temps, avec sa douce personnalité et aussi avec son entêtement, Sieva symbolise l’humanisme révolutionnaire qui ne meurt jamais. Je n’oublierai jamais ses yeux bleus, sa camaraderie et l’honneur qu’il m’a fait en m’invitant, anarchiste de toujours, à ses anniversaires que nous avons fêtés dans un restaurant russe du sud de Mexico.
En ce qui concerne la vie de Sieva, il convient de mentionner le documentaire d’Adolfo García Videla, Mes souvenirs avec Trotsky : entretien avec Esteban Volkov, qui a été présenté au campus Centro Histórico de l’Université autonome de Mexico le 20 août 2013. Fidèle à lui-même, Volkov a souligné à cette occasion que le capitalisme a atteint un niveau d’exploitation, de destruction de la planète, et que le marxisme est l’une des options qui existent. J’aimerais qu’il y ait d’autres idéologies, d’autres méthodes qui pourraient nous donner une solution pour sortir de cet enfer dans lequel vit une grande partie de la population.
Publié dans La Jornada le 18 juin 2023.
* Claudio Albertani est professeur à l’académie d’histoire et de société contemporaine à l’université autonome de Mexico.
- 1. Il est pratiquement certain que ce n’est pas le cas, d’après l’étude réalisée par Jean-Michel Krivine (NDLR).