À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris (1871), environ un millier de personnes défilaient ce samedi 15 mai 2021 dans l’Est Parisien à l’appel du collectif unitaire du 19ème1 dont fait partie le comité NPA du même arrondissement.
La balade sur les traces des communeu.x.ses s’est déroulée avec la participation de Ludivine Bantigny et Mathilde Larrère, de nombreu.x.ses artistes et de militant.e.s.
L’objectif de cette déambulation n’était pas exclusivement mémoriel : ponctuée d’une dizaine d’arrêts, les évènements historiques et lieux emblématiques de cet épisode révolutionnaire ont bien sûr été présentés, mais pour faire vivre pleinement la Commune de Paris, il nous semblait important de faire le lien avec les luttes actuelles.
Le RDV était fixé sur la place de Stalingrad à 14h, mais dès 13h30, la Fanfare Improbubble Bang entamait déjà, pour le plus grand plaisir des enfants et des plus âgés, des airs festifs pour nous rassembler. Tout au long de l’après-midi, ce groupe populaire et engagé a partagé avec nous une partie du répertoire des chants de la Commune lors de nos différents stops.
C’est ensuite notre invitée, Mathilde Larrère, historienne spécialiste des mouvements révolutionnaires et du maintien de l’ordre en France au XIXᵉ siècle, qui a ouvert l’évènement. En une dizaine de minute, elle a pu contextualiser la Commune sur une période plus longue, faire la distinction entre la république libérale et bourgeoise et la république démocratique et sociale le tout avec des aller-retour sur l’actualité (en corrigeant notamment l’une des déclarations d’E. Macron dans le documentaire de Bertrand Délais). Exercice difficile mais très réussit, à retrouver ici :
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Mais, « Que s’est-il passé ici ? », c’est ainsi qu’ont été introduit les topos historiques préparés par le collectif unitaire du 19ème. Sur la place de la Rotonde, (point stratégique pour les versaillais désireux de prendre les barricades de Belleville à revers), les combats des 25 et 26 mai sur la ligne du canal de l'Ourcq ont particulièrement été violents et sanglants. A raison d’un.e communeu.x.se pour vingt soldats de l’état bourgeois, il aura fallu deux jours à ces derniers pour s’emparer des barricades de la place, du quai de Loire et rue d’Allemagne (l’actuelle avenue Jean Jaurès).2
Nous nous sommes ensuite élancés vers la seconde étape du parcours. C’est la Fanfare Invisible qui a rythmé la marche (et fait danser aussi les habitants sur leur balcon lors de notre passage) d’un arrêt à l’autre. Dans le milieu parisien, on croise souvent ce groupe de musicien.ne.s militant.e.s au sein des manifs. Les chants des résistants, des révolutionnaires mais aussi les slogans plus actuels ont pu être entonnés avec conviction attirant ainsi de nombreux passants souhaitant profiter _eux-aussi_ de l’ambiance festive !
Au N°51 de l’avenue de Flandre, nous avons découvert l’histoire d’une ancienne brasserie où des réunions publiques se tenaient à la fin du Second Empire. Les républicains qui s’y rencontraient avaient baptisé l’une des salles de réunion « la Marseillaise », du nom d'un journal fondé en 1869 où écrivaient Rochefort, Lissagaray, Varlin, Vallès... Le 18 mars, 6 canons de la Garde Nationale y sont hébergés et protégés de toute tentative d'enlèvement... *
Sur la place de Bitch, parmi les intervenants, notre invité Christian Mahieux, membre du Secrétariat national de l'Union syndicale Solidaires, a présenté les avancées sociales de la Commune en réalisant un focus sur la Commission du travail et de l’échange, composée presqu’exclusivement de membres de la Première internationale. Il décrit l’œuvre considérable des décisions de la République des commnueu.x.ses, celle de la classe ouvrière. Sa conclusion est poignante : « Sociale, égalitaire, internationaliste, féministe, laïque et antiraciste : c’est tout cela qu’ils [les versaillais] massacrèrent en 1871 et qu’ils rejettent encore aujourd’hui. ». Et nous invite à poursuivre le combat : « Mais l’histoire n’est pas finie ! ».
Après une pause musicale sur l’air du « Sire de Fish ton kan », les membres du collectif unitaire du 19ème nous apprennent que c’est au sein de l’église qui nous fait face que se réunissaient le soir certains club pour débattre politiquement, ou encore le Comité de vigilance de l’arrondissement. Ces comités, bien avant l’insurrection du 18 mars, fleurissent dans plusieurs arrondissements et défendent leurs idées à travers les Affiches Rouge. Le lieu et sa dimension religieuse peuvent interpeller de prime abord, mais à l’époque, aucune ambiguïté concernant la séparation de l’Eglise et de l’Etat (décrétée quelques mois plus tard par les institutions de la Commune) : chacun était libre de vivre son culte en journée, tandis que le soir, clubs et/ou comités s’y retrouvaient pour débattre. *
Au carrefour rue de Crimée/ avenue Jean-Jaurès, le point historique reprend le récit de la bataille durant la semaine sanglante. Le 27 au matin, les versaillais poursuivent la stratégie préalablement énoncée, soit tourner les principales barricades communardes et s’emparer des Buttes-Chaumont où une batterie de canons tire sur leurs positions. Ils franchissent le canal en plusieurs points : au Sud à la Rotonde, au Nord par le boulevard (l’actuel périphérique) et au centre par le pont de Crimée. Les barricades des fédérées, plus ou moins solides, défendent les hauteurs de la rue de Crimée à partir de la rue Meynadier. Les 19ème et 20ème furent les arrondissements où les barricades étaient les plus nombreuses (on en compte une centaine pour le 19ème). Si quelques-unes furent dressées le 18 mars, la plupart ont été construites durant les derniers jours de la Commune, quand un des mots d’ordre fut « Chaque bataillon dans son quartier ». *
C’est justement en déambulant par la rue Meynadier que nous réclamions « du mouvement social » à tue-tête et sous la direction de la Fanfare Invisible. Nous arrivons enfin sur le parvis de la Mairie du 19ème. Une brève présentation des élus de l’époque (notamment Charles Delescluze, Frédéric Cournet, Jules Miot, Emile Oudet, Ernest Puget, François Ostyn, Menotti Garibaldi) tend à illustrer le niveau de répression réservé à ces personnages progressistes maintes fois condamnés au bagne ou plus dramatiquement à mort.
C’est ensuite le représentant de la Ligue des Droits de l’Homme section Paris 19, Denis Mercier, qui a été convié pour une prise de parole. Ses mots nous enjoignent à rendre toute l’importance et la portée de l’action de ces communeu.x.ses de nos quartiers, de nos rues, qui ont œuvré, au péril de leur vie, pour « l’émergence d’une société plus juste qui respecte les libertés ». La transition était ainsi toute trouvée pour aborder les inquiétudes légitimes face au pouvoir actuel friand de lois/décrets qui, chaque jour, grignotent nos libertés individuelles et collectives. En énumérant les dérives du gouvernement : l’utilisation d’outils numériques permettant le fichage3 des opinions politiques, des convictions religieuses etc. ; le dévoiement des termes de la laïcité ; les attaques répétées à l’égard des universités notamment de la recherche en Sciences Humaines, etc. il appelle à la prise de conscience car « nos droits sont menacés ». Le lanceur d’alerte, captivant ainsi son auditoire, termine son propos en nous proposant de faire perdurer la Commune de Paris comme une « source d’inspiration » afin de mener à bien nos luttes : pour une République réellement démocratique et sociale.
Un doux intermède musical, « le temps des cerises », nous permet de nous remettre de ce discours percutant, puis, à la suite de la prestation d’une formidable comédienne incarnant littéralement la Louise Michel que nous aurions voulu rencontrer, un dernier point historique rappelle l’intérêt militaire de la localisation du parc des Buttes Chaumont et l’impensable barbarie des versaillais qui jetèrent plus de 600 corps dans le lac. *
On se parle, on chante, on s’embrasse sur la route menant vers la traversée du parc des Buttes juste en face, on remarque bien sûr l’exposition de Dugubus (« Nous la Commune »), de nombreu.x.ses parisien.ne.s flânant tranquillement au vert finissent par se joindre à nos troupes. Un arrêt s’impose face à la statue de Clovis Hugues, le premier député ouvrier de l’histoire. D’abord à la tête d’une « jeune brigade urbaine » républicaine, il participe aux insurrections marseillaises alors que l’Empire s’effondre. Il n’échappe pas à la prison, puis lors de l’exercice de ces fonctions de député à Marseille et à Paris 19ème, il se consacre à défendre les pauvres, les ouvriers grévistes, mais aussi les femmes victimes de violence. *
Deux derniers stops ponctuent notre balade : les croisements des rues Fessart/Pradier et Rampal/ Belleville. Il a d’abord été question de revenir sur l’existence des barricades, et la sauvagerie des exécutions. La fosse commune où des milliers de corps d’insurgés furent jetés se trouve nous dit-on au 1 rue de la Solidarité. Une plaque datant de 1898 fut posée à l’initiative d’un élu parisien, Charles Bos, radical-socialiste, afin de rendre hommage aux communeux. * Les occupants actuels des locaux (la radio Fréquence Paris Plurielle) se battent d’ailleurs pour une meilleure reconnaissance de ces lieux qui comporte un réel intérêt historique.
Durant le second croisement, ont été évoqué Jules Vallès, dont la demeure se trouvait au 19 rue de Belleville ; « La taverne du Bagne », au N°12 ouvert par le communard et bagnard Maxime Lisbonne à qui on ne pourra reprocher son manque de créativité : Les serveurs habillés en forçats, traînaient tous un boulet au bout d’une chaîne. On ne pouvait en sortir qu’en présentant un carton où était écrit : « CERTIFICAT DE LIBERATION. Le condamné a consommé et s’est bien conduit. Le directeur M. LISBONNE ». Et enfin, au n° 8, une brève présentation de la célèbre salle des Folies-Belleville nous a été faite, où de nombreuses réunions politiques à l’atmosphère électrique ont eu lieu avant et pendant la Commune. *
Nous avons enfin achevé notre périple sur le terre-plein bellevillois. C’est Ludivine Bantigny historienne et universitaire française, maîtresse de conférences en histoire contemporaine qui est intervenue en conclusion de cette mobilisation très réussie. Elle rappelle toute la dimension féministe de la Commune. D’abord parce que les femmes s’autoorganisaient déjà, avant même l’insurrection parisienne, et ont ainsi pu jouer un rôle dans la transposition des valeurs d’émancipation, de solidarité populaire dans les fondations de la république parisienne. Elle mentionne leur rôle décisif dans le cadre de la fraternisation des troupes de soldats au matin du 18 mars 1871. L’historienne souligne les revendications « anticapitalistes » que portaient avec force les femmes au sein des chambre syndicales, pour elles, l’intégralité de la valeur de la production devait être partagé entre les travailleu.se.r.s, mettant ainsi fin au profit et à l’exploitation du patronat. L. Bantigny nous lance enfin un défi en nous expliquant qu’au-delà de la commémoration, notre participation aux évènements autour de la commune permet de la « faire vivre » : Aussi, nous invite-t-elle à être nombreux à la marche au mur des fédérés prévue le 29 mai 2021 (voir plus bas), au moins autant qu’en 1935, où plus de 600 000 personnes rendaient hommage aux insurgés !
L’intégralité de son intervention est à retrouver ici :
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Les dernières œuvres des historiennes concernant la Commune et/ou d’autres thématiques sont disponibles à la librairie La Brèche : 27 Rue Taine, 75012 Paris.
Mathilde Larrère, « Rage against the machisme », Edition du Détour, 2020.
Ludivine Bantigny, « La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps », La Découverte, 2021.
Les interventions ont été podcastées et peuvent être écoutées sur le site de Radio Fréquence Paris Plurielle.
Retrouvez l’appel du Collectif Unitaire du 19ème, publié sur le blog Médiapart de Faisons Vivre la Commune.
- 1. UL CGT 19, Solidaires Paris, ATTAC 19-20, LDH 19, MRAP19-20, RESF 19, EELV19, Ensemble, LFI, Génération.s, NPA, PCF, POI, UCL
- 2. Extrait de recherches effectuées par le collectif unitaire du 19e.
- 3. PASP : fichier Prévention des atteintes à la sécurité publique, GIPASP : fichier Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique, et EASP : fichier Enquêtes administratives liées à la sécurité publique