Publié le Vendredi 10 décembre 2010 à 15h43.

Algérie – Procès contre des « non-jeûneurs »: la société réagit au diktat des « moralisateurs »

Deux séries d’acquittement, mais une condamnation à deux ans de prison ferme: tel est le bilan de plusieurs procès retentissants qui ont lieu récemment en Algérie pour punir des personnes qui (aux yeux de ceux qui les faisaient poursuivre) avaient «enfreint des commandements de la religion».

Dernier procès en date, celui qui s’est déroulé le 8 novembre 2010 à Akbou. Il s’agit d’une ville d’environ 50.000 habitant-e-s située en Kabylie, la région majoritairement habitée de Berbères qui se trouve à environ cent kilomètres à l’est de la capitale Alger. Huit personnes étaient accusées de s’être réfugiées, pendant le Ramadan – en août de cette année – dans un bâtiment neuf situé dans une zone industrielle pour y boire, fumer ou encore pour manger. Leur procès avait été initialement prévu pour le 6 septembre, puis reporté suite à une mobilisation massive des citoyens autour des accusés.

Initialement, c’est douze personnes qui avaient été interpellées, dont un propriétaire d’un restaurant accusé d’avoir grillé des brochettes en journée pendant le Ramadan. Mais plusieurs des interpellés, majoritairement jeunes, avaient été relaxés sans poursuites, à défaut de preuve. Le lieu de leur interpellation était d’ailleurs symbolique: il s’agit du village d’Ouzellaguen, l’endroit même où, en août et septembre 1956, avait lieu – dans la clandestinité et en pleine guerre coloniale – la conférence de délégués du Front de libération nationale (FLN) qui avait adopté la célèbre «charte de la Soummam», portant le nom de la rivière dans le vallée de laquelle se trouve ce village. La «charte» prévoyait, pour le temps quand l’Algérie serait libérée du joug colonial, l’instauration d’une République laïque, du pluralisme politique et religieux.

Quant aux accusés d’Akbou, ils ont tous été acquittés, le 8 novembre dernier. Leur procès avait de nouveau, comme début septembre, mobilisé de nombreux citoyens de la localité d’Akbou, mais aussi venus d’ailleurs (provoquant même un embouteillage routier) pour soutenir les accusés. Si certain-e-s des citoyen-e-s mobilisé-e-s appartiennent au «Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie» (MAK) – un mouvement berbère ethno-nationaliste plutôt douteux voire droitier, qui voudrait tourner le dos «aux Arabes» pour se rapprocher de l’Europe – un grand nombre des présents appartenait à des courants progressistes. On y trouvait des militant-e-s du Parti socialiste des travailleurs (PST), d’un comité d’étudiant-e-s de l’université de Bejaïa (la capitale de la région), d’une association d’avocat-e-s, mais aussi de la Ligue algérienne des droits de l’Homme.

Les juges, quant à eux, ont considéré qu’«aucun article» de la loi algérienne ne permettait une condamnation des accusés. Les poursuites avaient engagées sur la base de l’article 144 du Code pénal du pays, qui sanctionne le «dénigrement contre l’islam». Mais une pratique – ou la non-observation d’une certaine pratique – de la religion, à titre privé, ne tombe pas sous cette définition générale, selon l’interprétation du tribunal.

La même solution avait été adoptée aussi par les juges d’Aïn el-Hammam, autre ville de Kabylie (environ 20.000 habitant-e-s), où deux ouvriers du bâtiment avaient été poursuivis. Ils étaient accusés de faits similaires, pour avoir bu de l’eau sur un chantier, le 12 août, quand la température était de 40 degrés. Au moins l’un d’eux, sinon les deux ouvriers sont de croyance chrétienne. La mobilisation pour soutenir les deux accusés, Salem Fellak (34 ans) et Hocine Hocini (47 ans), a aussi été massive. Elle impliquait même un sit-in à Paris, pas loin du consulat algérien, le 02 octobre, à trois jours de l’ouverture de leur procès. Une pétition de soutien a reçu de nombreuses signatures en Suisse francophone, où elle a été soutenue par des antiracistes, Verts et communistes. Alors que le procureur avait réclamé trois ans de prison sans sursis, les juges ont cependant prononcé un acquittement.

Bouchout Farès, âge de 27 ans, a au contraire été condamné à deux ans de prison sans sursis, à la mi-octobre à Oum el-Bouaghi. Cette ville est située à environ 500 km au sud-est d’Alger, mais en dehors de la Kabylie, dans une région arabophone. Le tribunal l’a aussi condamné à une amende d’environ 1.000 euros (cinq fois le salaire mensuel moyen en Algérie). Le jeune homme s’est trouvé dans un groupe de non-jeûneurs qui s’été caché pour consommer eau ou nourriture pendant le Ramadan, mais avait été dénoncé à la police par des délateurs; il avait été le seul qui ne pouvait pas prendre la fuite assez rapidement. Des avocats algériens ayant des sources au ministère de la Justice prétendent, cependant, qu’il sera probablement acquitté en appel. L’instance d’appel a été engagée.

Bertold de Ryon