La com était parfaite. Un parterre de représentants des sociétés civiles africaines, un intellectuel pourfendeur de la Françafrique comme organisateur, et un panel de quelques jeunes légèrement frondeurs jouant les faire-valoir d’un Macron égotiste et condescendant. En cela le sommet Afrique-France tenu à Montpellier début octobre avait tout d’un succès. Mais les faits sont têtus, et le récent blocage d’un convoi militaire français au Burkina Faso est venu le rappeler à qui refusait de le voir.
Certainement qu’une telle mise en scène, s’est inspirée du rapport du Centre d'analyse de prévision et de stratégie (CAPS) qui dans sa note d’avril 2020 indiquait : « Il faut anticiper le discrédit des autorités politiques » et « accompagner en urgence l'émergence d'autres formes d'autorités africaines crédibles pour s'adresser aux peuples » les nouveaux interlocuteurs seraient « les autorités religieuses, les diasporas, les artistes populaires » et « les businessmen néo-libéraux ».
Crise et réalité néocoloniale
Cependant la com du sommet de Montpellier n’a pas réussi à cacher la réalité. Celle d’une France qui soutient des gouvernements africains tant qu’ils servent à son propre agenda. Ainsi, Paris va critiquer le coup d’État du Mali, mais adoube la prise du pouvoir par le fils du dictateur Déby et ferme les yeux sur le troisième mandat de l’ivoirien Ouattara.
Au niveau militaire, l’opération Barkhane se révèle être un véritable fiasco. Ceux qui applaudissaient cette intervention n’ont pas vu que la crise du Sahel est avant tout politique. D’ailleurs il faudrait parler de « crises » au pluriel. Certaines sont récurrentes comme l’antagonisme éleveurs/agriculteurs, d’autres sont des mésententes à l’intérieur d’une communauté, elles peuvent être religieuses, ou sociales. Leur point commun est d’offrir aux djihadistes une opportunité pour s’implanter. Si ces crises ne sont pas nouvelles, des cadres existaient pour permettre leur résolution pacifique. L’affaiblissement des Etats du fait des politiques économiques d’ajustement structurel, la raréfaction des ressources et l’augmentation des inégalités sociales, accompagnées de la corruption ont fait voler en éclat ces médiations.
Rumeurs et affrontement
L’épisode du récent blocage, à travers le Burkina Faso du convoi militaire français illustre bien la crise entre d’un côté les élites françaises et africaines et de l’autre la population. Parti de la base militaire française de Port-Bouët dans la banlieue d’Abidjan en Côte d’Ivoire, un important convoi logistique de l’armée devait rejoindre Gao au Mali. Arrivé au Burkina Faso le convoi sera bloqué d’abord à Bobo Dioulasso puis à Kaya. Des manifestantEs ont été blessés par des tirs de sommation français ou/et burkinabé. Pour tenter de désamorcer la mobilisation, le gouvernement a coupé Internet comme le font traditionnellement les dictatures. Les manifestants soupçonnent que ce convoi fournirait des aides aux djihadistes. Certains commentateurs se gaussent de ces accusations sans rien dire de la déclaration de Le Drian qui voit dans le blocage, la main des Russes.
De telles rumeurs sont favorisées par les mensonges répétés de l’armée français en Afrique. Qu’il s’agisse des dénégations dans sa responsabilité du bombardement, d’un mariage à Bounti au Mali qui a fait 22 morts ou des complicités avec la dictature égyptienne dans le cadre de l’opération Sirli. Dans cette récente affaire, les renseignements fournis par l’état-major français servaient à neutraliser des trafiquants sur la frontière entre l’Égypte et la Libye.
Un pays meurtri
Le Burkina Faso est frappé de plein fouet par la violence djihadiste, près de 1.3 million de personnes sont déplacées, fuyant les conflits. L’attaque de la caserne d’Inata où plus de 50 gendarmes ont trouvé la mort a été un choc pour le pays. Une caserne qui n’était plus ravitaillée. Une situation qui exacerbe les reproches tant sur l’inefficience de Barkhane que sur sa collaboration avec les généraux burkinabés plus occupés à gérer leur business. La population perçoit l’armée française comme avant tout une aide pour les dirigeants africains qui à leurs yeux, ont perdu toute dignité face à Macron. En effet celui-ci peut se permettre de les convoquer à Pau pour qu’ils renouvellent leur allégeance à la France. Mais aussi émettre des blagues désobligeantes vis-à-vis du président Kaboré lors de son invitation à Ouagadougou. Ce comportement, Macron ne l’aurait jamais eu vis-à-vis d’un dirigeant d’un pays occidental.
Le convoi passe désormais par le Niger mais rencontre aussi dans ce pays, des manifestations violemment réprimées. Cela révèle le rejet de plus en plus important de la politique africaine de la France.