Dans la nuit du 13 au 14 avril, la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont bombardé des objectifs en Syrie, suite à de nouveaux témoignages de l’usage d’armes chimiques par le régime Assad. Un prétexte, en réalité, pour trois pays qui cherchent avant tout à revenir dans le jeu syrien, quitte à ajouter de la guerre à la guerre.
S'il est aujourd’hui difficile d’envisager les possibles scénarios quant à l’avenir de la Syrie, et des interventions impérialistes sur ce territoire, il apparaît que les bombardements de la semaine dernière étaient ponctuels, ainsi que l’avaient laissé entendre les dirigeants français, US et britanniques. Les premières déclarations suivant les bombardements, de Theresa May affirmant « [qu’]il ne s’agissait pas d’interférer dans une guerre civile, [ni] de changer de régime » à Jean-Yves Le Drian évoquant un nécessaire « plan de sortie de crise […] avec une solution politique », indiquaient qu’il ne s’agissait pas, à ce stade, de prendre le risque d’une escalade militaire d’ampleur.
Des prétextes…
Mais dans ce cas, pourquoi intervenir militairement ? La réponse des dirigeants occidentaux a consisté à mettre en avant « l’urgence » liée à l’utilisation par Assad d’armes chimiques contre la population syrienne. Une justification qui est évidemment un prétexte. Cela fait plus de sept ans maintenant que les Syriens se sont soulevés contre le tyran Assad, et l’on ne compte plus, depuis lors, les attaques massives, qu’elles soient chimiques ou non, contre la population, qu’elles viennent du régime ou de ses soutiens iranien et russe. Et la « communauté internationale » regarde, et laisse faire. L’argument de l’utilisation des armes chimiques est quant à lui particulièrement pervers : il signifie en effet que si les massacres ne sont pas commis avec des armes chimiques, ils sont tolérables et ne nécessitent pas de réaction… On notera au passage que certains opposants à cette intervention militaire ont utilisé comme argument l’absence de « preuves » de l’usage d’armes chimiques – malgré les témoignages multiples et répétés d’habitantEs, de journalistes, de médecins ou d’ONG –, apportant de facto un crédit à la thèse selon laquelle l’utilisation d’armes conventionnelles pour massacrer un peuple serait une pratique plus acceptable…
… à la réalité
S’il faut condamner la récente intervention, c’est parce qu’elle ne peut qu’ajouter de la guerre à la guerre, rappeler un passé colonial honni et renforcer la posture d’Assad comme « rempart » face à l’impérialisme occidental. Le gouvernement français et ses complices Trump et May se soucient du sort de la population syrienne comme d’une guigne. Leur indifférence à l’égard du sort des Kurdes, des Palestiniens ou des Yéménites confirme que le critère n’est pas l’assistance à des peuples en danger. On parle ici de jeux d’alliances et d’influence : Israël et l’Arabie saoudite peuvent massacrer tranquillement, puisque ce sont « nos » alliés, avec lesquels on coopère dans le domaine militaire, quand on ne leur vend pas directement des armes ; en Syrie en revanche, ceux qui ont la main sont l’Iran et la Russie, et il fallait leur signifier, ainsi qu’à Bachar al-Assad, que les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne refusaient d’être considérées comme hors-jeu. Trump, May et Macron veulent avoir leur mot à dire quant à l’hypothétique « sortie de crise » : pour revenir dans le jeu, ils ont même accepté la condition selon laquelle Assad serait un interlocuteur légitime. Une condition inacceptable pour des millions de SyrienEs ! Comment peut-on en effet imaginer une transition en Syrie en y associant le principal responsable de la boucherie ?
Contre tous les impérialismes
Les forces d’opposition démocratique syriennes ont été laminées, mais cela ne signifie pas pour autant que les aspirations démocratiques ont disparu : durant les rares périodes de « calme » au cours des dernières années, on a ainsi vu de nouvelles manifestations s’organiser. L’urgence est aujourd’hui d’exiger la fin de toutes les interventions impérialistes, en refusant toute tentation campiste et en rejetant toute illusion quant à une « solution durable » incluant Assad, afin qu’un véritable cessez-le-feu puisse être obtenu. Une condition nécessaire pour envisager un meilleur avenir pour la Syrie qui, comme l’ont prouvé les nombreuses expériences autogestionnaires qui se sont développées depuis 2011, et comme le montre, malgré ses limites, le processus au Rojava, n’est pas condamnée à la fausse alternative entre régime dictatorial et intégrisme islamique.
Julien Salingue