L’élection de Luis Arce, ancien ministre de l’économie d’Evo Morales candidat du MAS (Movimiento Al Socialismo) lors de l’élection présidentielle du 18 octobre en Bolivie est un évènement qui a surpris tous les commentateurs. Prenant appui sur les sondages émis avant l’élection, l’ensemble des journaux boliviens glosaient sur la possibilité d’un deuxième tour, estimant qu’au mieux Luis Arce obtiendrait 40 à 42% des voix, laissant la porte ouverte à la victoire de la droite, alors unie pour un second tour.
Leur surprise est donc de taille vu qu’Arce devrait obtenir entre 52 et 53% des voix, pour une participation de 87% de l’électorat, d’après les estimations données par les deux organismes habilités par le gouvernement.
Le candidat du MAS gagne dans six des neuf départements du pays. Au Sénat, le parti de gauche obtiendrait la majorité absolue mais pas celle des deux-tiers (24 sièges) nécessaire pour appliquer intégralement son programme.
Un régime « transitoire » à bout de souffle
Le départ de Morales en 2019 était la conséquence logique des fortes émeutes de la droite et du ralliement de la police et des forces armées à cette campagne de déstabilisation. Le coup d’État a réussi sur la base de fausses informations propagées par l’OEA – Organisation des États américains – relayées et amplifiées par les médias. Si ce putsch civil a réussi, c’est aussi parce que les soutiens de Morales se sont peu mobilisés pour éviter son départ allant même pour certains, dont la COB – Centrale ouvrière bolivienne –, jusqu’à demander sa démission. Mais cela ne signifie pas que la majorité de la population souhaitait revenir aux sombres années néolibérales d’avant l’accession au pouvoir du MAS.
Or, suite au coup d’État, la présidente auto-proclamée Jeanine Añez a clairement remis en cause non seulement les acquis sociaux de la période Morales mais a accentué le dépeçage du pays au profit des grandes compagnies minières et de l’agrobusiness. Elle a laissé les forces armées réprimer à tout va et faire la chasse aux militantEs de gauche, aux éluEs du MAS et donner libre cours à la violence raciste contre les peuples indigènes. Secouée par sa gestion de la pandémie du Covid-19, la présidente auto-proclamée a été éclaboussée par un scandale de corruption à l’encontre de son ministre de la Santé, Marcelo Navajas, arrêté en mai 2020 pour avoir surfacturé l’achat de respirateurs.
À partir du mois d’août, le pays a été secoué par une multitude de mobilisations, portées par la COB et les organisations indigènes, réclamant la tenue rapide d’élections, qu’Añez a régulièrement repoussées. Mais sous pression des mobilisations et du Parlement (dont la majorité est représentée par le MAS), le gouvernement a signé une loi le 13 août fixant la date des élections au 18 octobre avec interdiction de repousser cette date.
Ces onze mois de gouvernement « de transition » ont vu la multiplication des arrestations arbitraires, des actes de torture perpétrés par les forces de répression et la mort de nombreux manifestants.
Les médias, notamment en Europe, si enclins à « défendre la démocratie » ont été totalement silencieux quand l’ONG Human Rights Watch a dénoncé les centaines d’arrestations et les persécutions contre les militants du MAS. Ils se sont tus quand ont été dénoncés des dizaines de cas de corruption et de détournements de fonds perpétrés par des membres du gouvernement. Rien d’étonnant à ce que le peuple bolivien ait exprimé aussi massivement son aspiration au retour du MAS au pouvoir.
Et maintenant ?
Le soir du vote, malgré l’absence de résultats officiels, Añez, sonnée par les estimations de sortie des urnes, a reconnu la victoire d’Arce pendant que Luis Almagro, secrétaire général de l’OEA et un des principaux organisateurs du coup d’État contre Morales, donnait le baiser de la mort en félicitant le vainqueur. Signe des temps nouveaux, le très détesté Arturo Murillo, ministre de l’Intérieur, se voit contraint par Añez de démissionner pour avoir refusé de comparaitre devant l’Assemblée nationale afin de s’expliquer sur l’accusation de surfacturation d’un contrat d’achat d’équipement pour les forces de sécurité.
Après une lourde défaite, les règlements de compte commencent dans le camp de la droite. Le journal très droitier Pagina Siete explique que la défaire de Carlos Mesa est avant tout le résultat d’une « déconnexion avec les classes populaires ». Quant au leader d’extrême droite, Fernando Camacho, candidat de Creemos, et vainqueur dans le département de Santa Cruz, Il s’exprimait avant tout comme un leader régionaliste, insistant sur l’exception de « son département », réveillant ainsi la tentation sécessionniste très puissante dans cette partie de la Bolivie. Il ne se reconnait pas dans une quelconque opposition unie avec Carlos Mesa, bien que ce dernier se soit pourtant déjà autoproclamé chef de toute l’opposition dès le soir du 18 octobre. Et dès le 20 octobre à Santa Cruz s’est tenu un rassemblement contestant le résultat électoral et brandissant le spectre de la fraude électorale, bien que le Tribunal suprême électoral soit pourtant composé d’opposants au MAS.
Pendant ce temps, le nouveau président élu faisait sa première déclaration expliquant « vouloir gouverner pour tous les Boliviens », et « construire un gouvernement d’union nationale » en « réorientant le changement » et « dépassant les erreurs du mouvement vers le socialisme ». Il remerciait aussi la communauté internationale qui a pourtant trainé dans la boue le MAS et Evo Morales.
La vigilance sera de mise en Bolivie
Les attentes populaires sont massives et confirmées par l’ampleur du score du candidat du MAS. Mais cette victoire est à mettre en parallèle avec celle de Lenin Moreno en Équateur. Dans ce pays, si la majorité de la population ne voulait pas d’un énième mandat de Correa, elle ne souhaitait pas non plus un retour de la droite. Le résultat a été l’élection de Lenin Moreno qui, le soir de son élection, avait tenu un discours quasiment identique à celui de Luis Arce.
Rapidement, au nom de l’union nationale, Lenin Moreno a infléchi la politique économique du pays et repris les vieux principes néolibéraux. La vigilance sera de mise en Bolivie car c’est le peuple bolivien qui a remis le MAS au pouvoir, pas les multinationales ni le patronat local.
Or, lors de la campagne, Luis Arce s’est engagé par exemple à augmenter fortement la production de lithium (la Bolivie est le principal producteur au monde) en partenariat avec les multinationales minières, confirmant sa volonté de maintenir et de renforcer la politique économique antérieure centrée sur l’extractivisme.
Plus que jamais, les mouvements sociaux, qui ont lutté pendant cette année noire contre la droite et le gouvernement d’Añez, devront être non seulement écoutés mais entendus.