La pandémie du Covid-19 permettra-t-elle au gouvernement d’extrême droite, issu du coup d’État de novembre 2019, de rester en place ? Ou d’invalider la candidature du Movimiento Al Socialismo (MAS), afin que l’élection présidentielle se passe entre « gens de bonne compagnie » ?
La justice du gouvernement « intérimaire » accuse Evo Morales d’inciter au blocage des routes pour protester contre le nouveau report de l’élection présidentielle (fixée initialement au 6 septembre) au 18 octobre 2020. Evo Morales et quatre autres responsables – dont Luis Arce, candidat présidentiel du MAS – sont donc accusés de « génocide, terrorisme, sédition, délits contre le service de santé » (rien de moins !). « Cette accusation est un rideau de fumée pour masquer l’incompétence du gouvernement et l’insatisfaction du peuple qui ne le supporte plus et demande le départ de cette équipe », analyse un militant du MAS, cité dans Courrier international (11 août 2020).
« Jusqu’à la démission de la présidente Jeanine Áñez »
Les blocages se sont déroulés depuis le 3 août pour demander des élections le plus tôt possible, et non le 18 octobre. Le report des élections était « justifié » par la quarantaine liée au coronavirus (qui dure depuis plus de quatre mois), le pays dénombrant plus de 90 000 malades et 4 000 décès.
Les blocages ne sont pas le fait des seuls partisans du MAS. En effet, y participent aussi des secteurs indigènes, critiques ou hostiles au MAS, liés au vieux dirigeant aymara Felipe Quispe : « Lors de l’assemblée de El Alto, on a opté pour continuer le blocus des routes. Alors, nous, comme base, nous allons le faire de manière disciplinée jusqu’à la démission de la présidente Jeanine Áñez. C’est la pensée de tous les membres des communautés parce que nous ne pouvons pas y retourner les mains vides » (La Razón, 15 août 2020).
Des barrages ont été délogés par la police ou par des groupes paramilitaires (liés à l’oligarchie blanche, notamment celle de la province de Santa Cruz, issue en partie de l’émigration nazie allemande et fasciste croate, après la Seconde Guerre mondiale). Candidat à la vice-présidence, Marco Pumari (ex-président du Comité civique de Potosí) appelle ouvertement à la répression : « Qu’attendent les autorités pour déclarer l’état de siège dans le pays ? Et qu’une fois pour toutes l’armée et la police prennent le contrôle ? » (Courrier international, 11 août 2020).
« La Bolivie pour le Christ »
Pour mémoire, au-delà des critiques possibles à la gestion gouvernementale d’Evo Morales, le visage des auteurs du coup d’État est plus qu’inquiétant, comme l’indiquait Daniel Süri dans le numéro 359 de solidaritéS : « Les forces qui ont contraint Evo Morales à la démission ne se battent pas pour plus de démocratie, moins d’inégalités sociales, moins de racisme et de sexisme. Elles brandissent la Bible dans une main et assassinent de l’autre. Patriarcales, elles s’en sont prises à la mairesse de la ville de Vinto, Patricia Arce, peinturlurée en rouge, tondue, puis exhibée pieds nus dans les rues de la ville. Elles s’appuient sur leurs convictions chrétiennes pour mieux fustiger les cholos, terme raciste désignant les indigènes, qu’elles aimeraient voir reléguéEs dans les montagnes. »
Deux exemples significatifs : le drapeau indigène, la wiphala, a été brûlé par les putschistes ; Jeanine Áñez est entrée dans le Palais présidentiel en brandissant une immense Bible, pendant que ses comparses clamaient : « La Bolivie pour le Christ, Pachamama n’entrera plus jamais dans ce palais ! »
Une élections présidentielle incertaine
Selon de récents sondages, la présidente « intérimaire » n’arrive qu’en troisième position des intentions de vote, loin derrière Luis Arce (MAS) et Carlos Mesa, représentant de la droite classique et prédécesseur d’Evo Morales à la présidence.
Les divisions de la droite inquiètent de nombreux ennemis du MAS, qui veulent « empêcher que les jeux dangereux entre les anciens adversaires d’Evo Morales – qui hésitent à céder une position face à une autre formation et ne sont pas capables de former un front uni contre "l’ennemi public numéro un", comme l’ancien président a été qualifié par un journaliste de La Paz – ne finissent par provoquer le résultat le plus terrifiant pour les couches supérieures de la société : le "retour du MAS" » (Fernando Molina).
Article paru dans le n° 373 de solidaritéS (Suisse).