À la fin de l’année dernière, on apprenait par la presse que la multinationale belge Carmeuse avait signé un accord de développement avec Engie et John Cockerill pour « un projet innovant de Capture et d’Utilisation du Carbone en Wallonie » baptisé Columbus. Du greenwashing pur jus, sur fond de subsides européens pour une « relance durable ».
L’idée générale de Columbus est simple : la fabrication de la chaux à partir du calcaire dégage inévitablement de grandes quantités de CO2 (Carmeuse est responsable de 2 % des émissions wallonnes) ; si on fait réagir ce CO2 avec de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau, on obtient du CH4 (méthane) et de l’oxygène ; le méthane peut être injecté sur le réseau gazier, l’oxygène peut être vendu à l’industrie, et la chaleur du four à chaux (900 degrés) peut être valorisée dans des installations de chauffage urbain. Si l’électrolyseur fonctionne à l’électricité renouvelable, on le dit « vert » et le méthane produit est baptisé « e-méthane ».
Poudre aux yeux
Le trio Engie-Carmeuse-Cockerill a orchestré en faveur de Columbus une vaste campagne de propagande basée sur l’affirmation que « le e-méthane étant considéré comme un carburant renouvelable, le projet contribuera à la transition vers la neutralité carbone des utilisateurs finaux » et permettra de « réduire les émissions wallonnes de CO2 de 900 000 tonnes en dix ans »1. Koen Vlaeminck, responsable Engie du business development hydrogène pour la Belgique a été encore plus loin : « Avec le projet Columbus, a-t-il déclaré, nous pourrons fournir de l’e-méthane qui a les mêmes caractéristiques que le gaz naturel à la différence que c’est une molécule sans carbone »2.
Ces déclarations ont été amplement reproduites et gonflées par les médias. Les journaux ont rivalisé de formules sur le « méthane vert » comme levier de la « décarbonation industrielle », et salué la chance offerte à Charleroi de se placer ainsi aux premiers plans de la « transition énergétique », ou de la « révolution de l’hydrogène ». Or, tout cela est faux : l’e-méthane n’est pas plus un carburant renouvelable que le méthane ; prétendre qu’il s’agit d’une « molécule sans carbone » est même une contre-vérité flagrante. Des journalistes rigoureux auraient dû le signaler !
Les arnaqueurs
Pour comprendre l’arnaque, il suffit d’examiner le schéma technique fourni par Engie-Carmeuse-Cockerill et de faire fonctionner ses petites cellules grises. Que voit-on ? Que Carmeuse amène du calcaire (CaCO3) qui passe dans un four à chaux et dégage du CO2. C’est la situation actuelle. Avec Columbus, ce CO2, au lieu d’être envoyé directement dans l’atmosphère, sera combiné avec l’hydrogène produit par l’électrolyseur de Cockerill pour produire du méthane, qui sera injecté dans le réseau gazier. Mais ce méthane sera évidemment brûlé, et cette combustion, foi de Lavoisier, dégagera exactement la même quantité de CO2 que le four à chaux dans la situation actuelle.
En d’autres termes : avec la complicité intéressée de Cockerill (qui vendra un gros électrolyseur et se renforcera ainsi sur ce marché) et d’Engie (qui vendra de l’électricité « verte » et améliorera son image), Carmeuse se débarrassera de son carbone… et de l’obligation de le compenser en achetant des droits d’émission. Par le truchement du méthaniseur, le CO2 produit par le four à chaux sera tout simplement refilé en aval, aux acheteurs d’e-méthane. C’était simple, comme greenwashing, mais il fallait y penser… Simple comme l’œuf de Columbus !
Version intégrale sur gaucheanticapitaliste.org