Le 24 novembre, un « compromis » a été trouvé au Parlement bolivien pour l’organisation de nouvelles élections, sans Evo Morales. Obtenu sous la pression des putschistes, cet « accord » ne garantit en rien que les putschistes ne seront pas les grands gagnants de la séquence en cours. Bien au contraire.1
Au moment où nous célébrons la récente libération de Lula de prison comme une incontestable victoire démocratique, et sans projeter sur ses années passées au gouvernement un radicalisme qu’il n’a jamais eu, nous n’avons pas besoin d’attribuer un caractère socialiste à Morales pour condamner son éviction antidémocratique du pouvoir. En effet, on ne peut expliquer le dynamisme des forces de droite et l’important soutien populaire au coup d’État « soft » qui a évincé le Parti des Travailleurs au Brésil en 2016 et conduit à l’incarcération de Lula, pas plus que le coup d’État passablement plus « dur » en Bolivie aujourd’hui, à moins de saisir les contradictions de classe sous-jacentes aux expériences de capitalisme néo-développemental qu’ont fait chacun de ces pays.
Un coup d’État a bien eu lieuMais ceux qui font partie de la gauche internationale des pays impérialistes doivent insister sur le droit des Boliviens à l’autodétermination, en dehors de toute intervention extérieure. Dans ce cas, la revendication n’est pas abstraite et, à l’intérieur de la Bolivie, cette position serait fortement appréciée par tout le monde à l’exception des golpistas [putschistes]. Cela n’induit pas qu’il faut suspendre tout scepticisme, toute critique vis-à-vis de Morales, ni avoir une vision idéalisée de sa présidence, comme le veulent certaines des interprétations les plus vulgaires. Comme le dit en plaisantant Karl Marx à Engels dans le film de Raoul Peck Le Jeune Karl Marx : « L’ignorance n’a jamais aidé personne. » Nous avons formulé de fortes critiques de gauche vis-à-vis de Morales, tout en essayant d’expliquer à la fois le soutien persistant dont il bénéficie et son recul prématuré.En Bolivie, les critiques de gauche devraient reconnaître que Morales a gagné une majorité assurée au premier tour, que le MAS est à l’évidence l’entité politique la plus populaire du pays et qu’un coup d’État a bien eu lieu. Ce qui est arrivé, c’est un coup d’État et la présidence d’Áñez est illégitime et illégale.
Éviter une consolidation de droite du scénario post-coup d’ÉtatMorales et le MAS devront faire partie de toute sortie négociée de la crise politique actuelle et leur volonté et capacité à négocier avec l’opposition n’a jamais fait aucun doute – c’est la raison pour laquelle l’opposition a insisté sur le départ de Morales et persécute aujourd’hui activement des figures clefs du MAS. La gauche, en Bolivie et à l’étranger, devrait se montrer particulièrement sceptique par rapport aux conclusions de l’OAE – qui évoque une probabilité plus que la preuve d’une fraude – même si, dans le sillage du référendum de février 2016 et des explications étranges de la cessation de transmission en direct du comptage rapide des voix, beaucoup ont, de manière compréhensible, perdu foi dans la transparence démocratique de l’administration du MAS.Éviter une consolidation de droite du scénario post-coup d’État impliquera une lutte militante extra-parlementaire massive, ce qui est exactement ce à quoi ont appelé les producteurs de coca, les mineurs, les syndicats et les communautés paysannes indigènes dans les jours et semaines à venir. Les procédures institutionnelles et les manœuvres légales ne seront pas le facteur décisif dans l’issue de cette confrontation pour le pouvoir politique.Malheureusement, dans le nouveau climat dictatorial, la presse bolivienne privée ne couvrira pas ces mobilisations, sauf pour les stigmatiser, les racialiser et les criminaliser. Quant aux médias publics pro-Morales et stations de radio locales des mineurs et des paysans, ils ont tous été saisis et fermés. Le blackout médiatique est l’une des tactiques clefs du régime putschiste.
Jeffery R. Webber et Forrest Hylton