Extraits d’un entretien réalisé par The Nation avec K., militante des droits des femmes afghanes.
Avec d’innombrables autres militantEs des droits des femmes, j’ai passé les deux dernières décennies à investir dans notre foyer, notre société, nos enfants et les filles de ce pays qui sont confrontées à de nombreux obstacles. Tous les progrès que nous avons accomplis risquent d’être réduits à néant du jour au lendemain. Comment pouvons-nous garder espoir alors que désormais est menacé tout ce pour quoi nous avons travaillé ?
« Kaboul n’est pas représentative du reste du pays »
En tant que personne ayant mené diverses initiatives en faveur des droits des femmes, je suis inquiète pour moi-même, mais aussi pour les femmes qui ont travaillé pour nous au fil des années. Leurs vies sont en danger, car beaucoup d’entre elles ont servi d’auxiliaires auprès d’organisations internationales, travaillant aux côtés d’assistants masculins. Je crains que l’idéologie conservatrice des talibans ne tolère pas de telles activités.
J’ai récemment entendu le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, déclarer que les femmes pouvaient reprendre leurs professions comme par le passé et poursuivre leurs activités publiques sans crainte. Cependant, nous savons que si les talibans ne privilégient que certaines professions féminines, comme les enseignantes et les infirmières, nous craignons que les femmes qui travaillent pour des ONG ou le secteur privé ne subissent des représailles.
Kaboul n’est pas représentative du reste du pays. Puisque le monde a les yeux rivés sur Kaboul, peut-être qu’ici les femmes pourront encore présenter les informations ou entrer dans les cliniques où elles travaillaient auparavant. Mais nous recevons des rapports des provinces dans lesquelles tous les bureaux des ONG ont été fermés. Mes collègues de Balkh m’ont informée que les talibans leur ont ordonné de ne pas quitter leur domicile sans burqa ou sans tuteur masculin. Ce sont ces mêmes femmes qui ont dirigé leurs propres organisations et font carrière, permettant à certaines d’entre elles de subvenir seules aux besoins de leur famille.
Un ami m’a dit que les propriétaires de magasins ont reçu l’ordre de ne pas vendre aux femmes qui viennent faire leurs courses sans être accompagnées d’un tuteur masculin ou d’un enfant de plus de 12 ans.
« Qui sera en mesure de voir réellement ce qui nous arrive ? »
Un tel traitement des femmes est naturellement inquiétant et démontre clairement que les talibans n’ont pas changé. Ils entendent gouverner selon la même interprétation stricte de l’islam qu’ils professaient il y a 20 ans.
Une grande partie de la couverture médiatique occidentale est axée sur l’évacuation des journalistes et des membres de la communauté internationale d’Afghanistan. Mais si ces observateurs partent, qui nous entendra ? Qui sera en mesure de voir réellement ce qui nous arrive ?
J’entends constamment des rapports sur les tentatives des talibans de revenir sur les droits des femmes, en particulier dans les régions reculées de l’Afghanistan, mais je crains que ces rapports ne soient plus relayés par les médias internationaux ou que les Nations unies décident simplement de fermer les yeux.
Ceux et celles d’entre nous qui connaissent bien les provinces peuvent attester du fait que les talibans n’ont pas modéré leur position à l’égard des femmes. Nous savons, par exemple, que la burqa est rendue obligatoire pour les filles à partir de la sixième année. Au cours des derniers mois, les talibans ont imposé des restrictions dans les villages, les villes et les provinces. Ce n’est qu’une question de temps avant que les grandes villes connaissent de telles restrictions. Il est donc essentiel de les signaler maintenant, avant qu’elles se généralisent et se normalisent.
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