L’assassinat récent d’Yvan Colonna a cristallisé tout le sentiment de révolte du peuple corse et de sa jeunesse en particulier face au mépris d’État exacerbé sous l’ère Macron. Sur fond de réactivation de la lutte de masse, la question d’un règlement politique de la question corse est à nouveau à l’ordre du jour.
Cette évolution ne peut s’extraire d’une analyse froide de la situation actuelle que traverse la Corse, de ses contradictions internes et surtout du choix de projet de société qui accompagnerait toute évolution institutionnelle.
La mise sous tutelle économique du « porte-avions » corse
Comment est-on passé d’une économie insulaire agro-pastorale autosuffisante, encore en capacité d’exporter ses excédents en 1911, à une île dépendante à 93 % des importations concernant la consommation de biens de première nécessité ?
Quels que furent ses régimes internes, il n’a jamais été dans l’intention de la France de tirer une plus-value économique de la Corse, mais de ne la considérer que du point de vue stratégique en Méditerranée. Alors que 270 000 hectares étaient encore exploités en culture intensive en 1850, les lois douanières – dites lois scélérates – ont désavantagé les productions locales au bénéfice des importations. Tout a été entrepris pour favoriser un exode rural massif des populations villageoises, substrat socioculturel de la société corse, vers les villes littorales, les colonies et la Métropole.
La saignée de la Première Guerre mondiale a achevé d’affaiblir les forces productives de la ruralité insulaire dans des proportions plus fortes qu’en France, du moins à l’échelle de la population insulaire. Au début des années 60, La SOMIVAC (Société de mise en valeur agricole de la Corse) qui était censée répondre aux demandes de foncier des jeunes agriculteurs corses, a très largement octroyé des terres viabilisées aux rapatriés d’Algérie. Cette Injustice est une des causes centrales de la réactivation de la lutte contemporaine du peuple corse pour ses droits.
C’est l’ensemble de ces facteurs qui explique qu’aujourd’hui les secteurs confondus de l’agriculture et de la pêche ne pèsent qu’à hauteur de 1,09 % dans le PIB de la Corse. C’est d’autant plus aberrant quand on sait que la Corse est un château d’eau en Méditerranée avec des terres à fort potentiel agricole, même dans le contexte du réchauffement climatique. Il s’agit donc délibérément d’une stratégie de destruction de l’économie vivrière multiséculaire de l’île dans un objectif d’assistanat forcé. Georges Clemenceau, quand l’empire colonial français était à son apogée, avait proposé de restituer la Corse à l’Italie « Pour un franc symbolique ». Mais la donne a changé depuis ; la base aérienne de Sulinzara est la quatrième base de projection de l’OTAN, elle permet à l’impérialisme français d’opérer sur tout le continent africain. Comme le rappelait le ministre Darmanin en Corse le 16 mars dernier « La Corse est notre porte-avions en Méditerranée ». La volonté de créer un lien de dépendance forcé à la Métropole est donc un objectif stratégique.
La stratégie néolibérale du tout-tourisme et de l’économie résidentielle
Adossée aux grands groupes capitalistes européens, la bourgeoisie corse a fait sienne la volonté de l’Europe libérale de faire de la Corse un bronze-cul où on peut spéculer librement. De fait, la part de l’activité du tourisme dans le PIB Corse est de 20,77 % d’après l’étude sérieuse la plus récente.
Cette activité (hors transport) aurait injecté 2 183 280 000 euros dans l’économie de la Corse en 2017, soit 6 463 euros par habitant, mais dans la réalité cette manne ne profite qu’à une minorité de la population locale et surtout à des intérêts extérieurs. Il y a eu depuis vingt ans une extraordinaire prolifération de résidences secondaires en Corse. Phénomène auquel il convient de rajouter la construction exponentielle d’immeubles intra-urbains dont la destination première est orientée vers la location saisonnière. Ces locations opérées par des particuliers sont souvent le fait de propriétaires français et européens ne résidant pas en Corse (à cet égard, un hébergement sur deux est retenu via des sites tels que Airbnb, Abritel, Homelidays). Ces deux facteurs cumulés sont à l’origine d’une cherté des loyers qui pénalise directement les classes populaires, au sein desquelles les femmes isolées et les jeunes sont les premières victimes de cette situation. L’immobilier pèse aujourd’hui 12,69 % dans le PIB de la Corse.
Ce « totalitourisme » devient une mono-activité économique qui détruit d’autres acteurs de l’économie (agriculteurs, éleveurs, pécheurs...) et n’attirent plus les compétences (fuite des jeunes diplômés). De nombreux commerces et services sont cependant orientés vers un unique but : faire croitre toujours davantage les profits liés aux flux de marchandises et de touristes. Le projet de nouveau port de commerce à Bastia s’inscrit dans cette logique mortifère.
Durant la saison estivale les infrastructures publiques sont saturées. Cette saturation des équipements touche aussi bien les transports, la santé que le nettoyage et le traitement des déchets ou encore l’entretien des espaces naturels collectifs. La présence des touristes entraîne ainsi des surcoûts de gestion et d’entretien pesant sur la population résidente à l’année.
Le modèle économique (Tourisme-BTP-Grande Distribution) que les capitalistes ont imposé à la Corse a généré un accroissement exceptionnel des inégalités. La Corse est la région la plus pauvre (hors DOM-TOM) avec 18,5 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Sans les fonctions publiques qui génèrent 30,1 % du PIB de l’île, la Corse s’enfoncerait dans une précarité de masse encore plus importante.
Un mouvement national corse divisé sur la stratégie politique et le projet de société
Il serait fastidieux de reprendre tout l’historique du mouvement national de ces 40 dernières années, mais il faut retenir le fait marquant de l’année 2014 durant laquelle la clandestinité a déposé les armes pour permettre l’amorce d’un processus de paix à l’Irlandaise.
À cette perspective, les gouvernements successifs de Hollande et de Macron n’ont répondu que par le mépris, opposant une fin de non-recevoir aux revendications démocratiques et culturelles. Pire, ils ont maintenu et parfois accentué la répression contre les prisonniers et recherchés politiques.
Dans cette recherche d’une solution politique pacifique et négociée se sont inscrites aussi bien les forces indépendantistes (Corsica Libera / Core in Fronte) que les forces Autonomistes (Femu a Corsica / PNC) majoritaires.
Toujours reporté aux calendes grecques par la majeure partie des directions nationalistes, le débat sur le projet de société est tranché dans les faits. La question d’un changement de société en rupture avec le capitalisme n’est pas posée par Femu a Corsica, le PNC, Corsica Libera, pas plus d’ailleurs que par le mouvement Core in Fronte. Tout au plus, ces différentes tendances se sont accordées, à des niveaux variés, sur une vision régulatrice du système de l’économie de marché, allant du néolibéralisme à un versant social-démocrate pour Core in Fronte.
Sur différentes questions sociétales et points programmatiques le flou idéologique est encore plus important. En termes de contradictions, on peut trouver des nationalistes totalement investis dans la spéculation immobilière et d’autres qui y sont résolument opposés, y compris parfois au sein d’une même structure. On peut trouver des nationalistes disposés à accueillir les réfugiéEs en Corse d’où qu’ils viennent et d’autres plus perméables à une partie de leur base électorale acquise aux thèses des Le Pen et Zemmour. On peut aussi trouver des féministes au sein du mouvement national et dans le même temps des éléments droitiers aux visions traditionalistes et patriciales archaïques.
Le débat sur toute évolution institutionnelle ne pourra se faire sans une clarification sur les choix sociaux, culturels et économiques. L’enjeu de l’heure est d’éviter que la bourgeoisie corse ne fasse un hold-up sur 40 années de lutte pour s’octroyer uniquement quelques avantages fiscaux sur le dos du monde du travail et de la jeunesse.
Pour A Manca, la Liberté n’est pas un ennemi de classe
C’est au peuple corse en tant que communauté de destin d’exercer les choix dans tous les domaines qui participent de la préservation et de la promotion de ses intérêts fondamentaux. La relation historique entre le peuple corse et l’État français se caractérise par un rapport de dominés à dominant. La relation entre les classes populaires de Corse et les classes possédantes se caractérise toujours par un rapport de sujétion des premières aux secondes, et ce au détriment de leurs conditions de vie. Le néolibéralisme, par sa nature et son mode de développement et L’État français, par les politiques qu’il impose, constituent les facteurs fondamentaux d’une double domination colonialiste et capitaliste attentatoire aux intérêts populaires.
Pour A Manca, le droit à l’autodétermination et l’autogestion fondent le socle de l’édification d’un cadre démocratique et ce, en opposition radicale avec l’État français et les classes dominantes de Corse. Le droit à l’autodétermination est un processus dynamique qui implique des niveaux de mobilisation qui prennent en compte les revendications immédiates dans la perspective d’un changement politique, pour une société débarrassée de toutes les formes de domination.
Dans le cadre des éventuelles négociations à venir, a Manca prendra toute sa place pour que le mouvement social s’empare de la question démocratique corse et pour que, si un projet d’Autonomie législative voit le jour, il soit le plus conforme possible aux intérêts populaires et vecteur d’émancipation individuelle et collective.