Publié le Jeudi 7 février 2013 à 12h31.

Égypte : Morsi de plus en plus isolé

Le vendredi 25 janvier, des manifestations marquant les deux ans du début de la révolution égyptienne ont donné lieu à la plus grave crise depuis l'élection de Morsi en juin dernier, dans la continuité de la contestation de novembre-décembre 2012.Un appareil d’État diviséDès le vendredi soir, des centaines de jeunes affrontaient la police aux alentours de la place Tahrir.  Le lendemain, l'annonce de la condamnation à mort de 21 supporters du club de Port-Saïd (1) a provoqué un véritable embrasement qui s'est étendu à Ismaïlia et Suez, dirigé à la fois contre une police haïe de longue date mais aussi contre Morsi, dont les manifestantEs appellent à la chute. En trois jours, 46 personnes seront tuées par la police, amenant Morsi à réinstaurer l’état d'urgence dans ces trois provinces et à mettre en place un couvre-feu. La population défie cette décision avec humour en organisant des manifestations de nuit pour « voir le couvre-feu » et organise des tournois de foot auxquels participe… une équipe de l'armée, supposée faire appliquer la décision. Morsi a restreint le couvre-feu, alors que la hiérarchie policière elle-même montre sa défiance vis-à-vis du pouvoir politique, en empêchant le ministre de l'Intérieur d'assister aux obsèques de deux policiers tués lors des affrontements de Port-Saïd.Hystérie autour des « Blacks Blocks »Au Caire, la contestation se focalise pendant plusieurs jours autour des affrontements impliquant les désormais fameux « Black Blocks », groupes ayant pour seule vocation affirmée la confrontation avec la police, sans plus de stratégie politique. Alors qu'ils ne représentent que quelques dizaines d’individus effectivement organisés (mais font le « buzz » sur internet et ont significativement fait monter, par un effet de « mode », le prix de la cagoule sur les étals de la place Tahrir), le pouvoir s'en prend violemment à eux en les dénonçant comme le bras armé de l'opposition, un responsable des Frères musulmans les accusant même d'être financés et entraînés par l’Église copte.Fait inquiétant, les Frères musulmans ont accompagné leur entreprise de décrédibilisation de toute contestation violente de l’État dans la rue, par l'envoi de manifestants, très probablement des militants issus de leurs rangs, afin de combattre au côté de la police les jeunes révolutionnaires pour le contrôle de la place Tahrir.Une opposition unie mais coupée de la rueLe Front de salut national – qui regroupe des figures comme le nassérien de gauche Sabbahi, le libéral ElBaradei, le fouloul (2) Amr Moussa (mais également l'Alliance populaire socialiste) – a rejeté le 28 janvier l'appel de Morsi à un dialogue national alors que la répression faisait rage, et a appelé à de nouvelles manifestations le vendredi suivant, donnant un espoir de perspectives à un mouvement déstructuré et minoritaire. Mais en signant sous l'égide d'Al-Azhar, la plus haute autorité de l'islam sunnite (et au côté du Parti de la liberté et de la justice dont est issu Morsi) une charte condamnant « toute forme de violence », le Front a renvoyé dos à dos la violence des manifestantEs à celle de la police... avant de revenir sur cette décision après la violente répression de la manifestation du 1er février devant le palais présidentiel (une nouvelle victime et plus d'une centaine de blessés, portant le nombre de morts à plus de 60 en une semaine). Il a aussi appelé à la « chute du régime tyrannique et de la domination politique des Frères musulmans », collant un peu plus à l'état d'esprit de la rue et du mouvement.Mais face à l'intransigeance des Frères musulmans, de plus en plus isolés et délégitimés, dans une situation d'aggravation de la crise économique, l'opposition devra proposer à une jeunesse radicalisée et à une population égyptienne exaspérée d'autres perspectives que l'attente des élections législatives prévues en avril. Sous peine de voir de nouvelles explosions se produire…Du Caire, Romain Hingant1. Le 1er février 2012, 74 supporters du club cairote d'Al-Ahly étaient massacrés dans le stade de Port-Saïd.2. Littéralement « résidus » (de l'ancien régime)