Le maréchal Sissi recherchait un certain vernis démocratique pour asseoir sa légitimité face à ses bailleurs étrangers. Le résultat étant connu d’avance, le seul élément déterminant était le taux de participation...
Les semaines qui ont précédé l’élection ont été marquées par un matraquage effréné en faveur de Sissi. Le premier jour des élections, on a assisté à des mesures absolument grotesques en réaction à un taux de participation très faible. Ainsi on a annoncé lundi soir que le mardi serait jour de congé pour les institutions gouvernementales et privées. Résultat : des rues vides et des bureaux de vote aussi déserts que la veille. La menace d’une amende pour les fonctionnaires n’ayant pas voté n’a manifestement pas suffi. Du coup, mardi, grande surprise, on annonce que les bureaux de vote seront ouverts jusqu’à 22 heures et que le vote sera prolongé au mercredi ! Résultat des courses, des chiffres officiels manifestement truqués, impossibles à vérifier et auxquels personne ne croit : un taux d’abstention de 52 % (à comparer avec les 48 % du deuxième tour des présidentielles précédentes), 93 % des voix pour Sissi, 3 % pour Sabbahi (nassérien de gauche) et 4 % de votes nuls.
Boycott des urnesEn fait, le public n’est pas dupe et se rend compte de la grossièreté de la manœuvre. Celles et ceux qui ne sont pas allés voter se fichent bien de ce que les médias entièrement inféodés aux militaires ne cessent de seriner : « Ce sont des traîtres, ils sont vendus à l’étranger... ». Ils ont l’impression de se retrouver au temps de Sadate ou Moubarak. D’ailleurs, la multiplication des arrestations de militantEs révolutionnaires avant les élections, l’utilisation de la torture dans les prisons, l’attaque systématique de tout rassemblement des forces révolutionnaires, l’absence de débat et la prévisibilité du scrutin l’indiquaient déjà. Le refus de beaucoup d’Égyptiens de voter s’explique par le boycott appelé à la fois par les Frères musulmans et des forces révolutionnaires. Celui-ci a été particulièrement efficace dans la jeunesse. Il s’explique aussi par la situation difficile à laquelle beaucoup ne voient pas d’issue. Les militaires sont bien là, vote ou pas, et ce sont eux qui décideront. La préoccupation principale de la population, c’est la survie au quotidien avec la hausse du chômage due à une économie sinistrée, une hausse des prix vertigineuse, des coupures d’eau et d’électricité très fréquentes. Et cette préoccupation première restera le principal enjeu des mois à venir.
Situation en suspensLe pouvoir actuel risque d’être encore plus répressif que le dernier : Sissi doit faire taire toute possibilité de contestation sociale pour tenter de remettre en place l’ordre en vigueur avant 2011. Nous ne sommes plus en juillet dernier lorsqu’il fut porté en héros après avoir destitué le président Morsi par un coup d’État militaire, après des manifestations de masses rassemblant des millions d’Égyptiens dans les rues. Le soutien dont il pouvait jouir ne peut que s’éroder à l’exercice du pouvoir. La figure de nouveau Nasser qu’il essaye pourtant d’emprunter ne trompe pas les Égyptiens. Avec un programme quasi inexistant, il faudrait qu’il apporte de réelles réponses aux problèmes sociaux, avec une restructuration de l’appareil d’État égyptien dont rien n’indique pour le moment qu’il est en capacité de la réaliser. En effet, rien ne montre que Sissi soit en si bonne position dans l’appareil d’État qui fonctionne selon une mécanique obscure d’alliances, tensions, fidélités familiales et institutionnelles entre les différentes composantes de l’appareil sécuritaire. La situation peut très vite évoluer si les grèves ouvrières, laissées en suspens durant la campagne présidentielle reprennent. Tout aussi déterminante sera la structuration des forces révolutionnaires (Mouvement du 6 avril, Socialistes révolutionnaires, Pain et liberté…) au sein d’un front, comme celui qui s’est constitué dans les mobilisations contre la loi restreignant le droit de manifester en janvier dernier. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de créer une alternative à la fois à l’armée et aux Frères musulmans.
Du Caire et d'Alexandrie, correspondantEs NPA