Depuis quelques jours les yeux du monde entier sont rivés sur le Brésil. Dans le pays de Lula, un ex-militaire d’extrême droite, sexiste, homophobe et raciste, se trouve aux portes du pouvoir. Mais qui est Bolsonaro et comment il est arrivé là ?
La situation actuelle au Brésil puise ses racines dans la séquence ouverte par les manifestations de juin 2013, un processus contradictoire où la remise en cause sur la gauche des limites du PT et une impressionnante vague de grèves se mélangeaient à une grogne anti-corruption aux traits réactionnaires (c’est dans ces manifestations qu’ont été vues, pour la première fois, des pancartes réclamant une « intervention militaire »).
Après la victoire serrée de Dilma Roussef en 2014, le pouvoir judiciaire a entrepris une sorte de « chasse aux corrompus », ayant dans le rôle de « héros » le juge Sérgio Moro et touchant surtout le PT et ses alliés. C’est dans ce processus que se situent la destitution de Roussef au profit de son vice-président Michel Temer, de même que l’incarcération de Lula et son interdiction de se présenter à la présidentielle.
Dans un contexte de crise profonde du régime et des partis du centre, Bolsonaro a ainsi profité de la situation et a réussi à canaliser une très grande partie du sentiment anti-PT et du rejet à la corruption, ainsi que de la violence sociale très forte au Brésil, se présentant comme « l’homme fort qui remettra de l’ordre dans le pays ».
Un ultralibéral au service de la Maison Blanche
« Parmi les quelque 150 entreprises d’État, au moins 50 seront privatisées » : voilà ce qu’a déclaré Bolsonaro dans un signal clair pour les marchés qui exigeaient des garanties. Il multiplie également les clins d’œil à Donald Trump, une claire source d’inspiration pour lui. Ainsi, suite à une critique émise par le président US sur la prétendue dureté brésilienne dans les relations commerciales, Bolsonaro a déclaré : « Nous allons nous rapprocher des grandes nations, nous allons mener une politique extérieure sans biais idéologique ».
De ce point de vue, le phénomène Bolsonaro s’inscrit également dans le cadre d’une politique plus agressive des États-Unis en Amérique latine, après des années où la crise ouverte au Moyen-Orient à partir de l’intervention en Irak avait concentré l’attention des sphères de la politique extérieur américaine.
Un ex-militaire nostalgique de la dictature
Capitaine de l’Armée pendant la dictature, Bolsonaro ne cache ni sa nostalgie du régime militaire ni ses liens avec des membres de l’institution. Ce retour de l’armée sur la scène s’explique, selon le politologue David Fleischer, par l’histoire du gouvernement putschiste de Temer, qui a impliqué de plus en plus la force militaire brésilienne dans des missions de maintien de l’ordre censées faire tenir les murs d’un gouvernement massivement rejeté par la population.
Concrètement, Bolsonaro promet de nommer six généraux à son gouvernement, et a comme co-listier, pour la vice-présidence, Hamilton Mourão, lui aussi général de réserve, qui déclare ouvertement que l’Armée serait prête, en cas de dégradation de la situation au Brésil, à « imposer une solution » et qu’un « auto-putsch » avec la dissolution du Parlement en cas « d’anarchie » ne serait pas à exclure.
Retour du Brésil conservateur et tendances protofascistes
Le coup d’État entrepris par les militaires en 1964 avait eu un caractère « préventif » (à la différence de celui du Chili qui venait contrer un processus révolutionnaire), ce qui a fait qu’il a été relativement moins violent (les mortEs et disparuEs se comptent en centaines et pas en milliers) et qu’il a visé principalement les militantEs de la guérilla.
C’est cette particularité qui explique qu’un secteur de la société brésilienne puisse encore se revendiquer de cette période et expliquer que « les gens bien » n’ont jamais été dérangés. En d’autres mots, le phénomène Bolsonaro fait ressortir au grand jour le Brésil conservateur des manifestations « des familles pour Dieu et la liberté » qui soutenaient le coup d’État en 1964 contre la « menace communiste ».
Il partage avec cette tradition les valeurs morales, le sexisme, l’homophobie, le racisme, ce qui explique la vague d’agressions perpétrés par des électeurs de Bolsonaro ces derniers jours, qui expriment une tendance protofasciste, pour l’instant encore minoritaire mais contre laquelle les BrésilienEs commencent à se préparer, par-delà même le vote pour Fernando Haddad du PT au second tour, par des assemblées générales, des comités de défense, etc.
Daniela Cobet