Aux dernières élections législatives d’avril 2022, la coalition au pouvoir, composée du FIDESZ du Premier ministre Victor Orban et du Parti Populaire démocrate-chrétien, a obtenu 50% des voix. Un autre parti d’extrême droite, néonazi, Notre mouvement pour la patrie, a obtenu 5% des voix. Qu’est-ce qui caractérise ces partis et pourquoi en est-on arrivé là ?
Le Fidesz, Alliance civique hongroise, a été formé en 1988 sous le nom d’Alliance des jeunes démocrates (Fiatal Demokraták Szövetsége) en tant que mouvement militant de centre-gauche et libéral qui s’opposait au gouvernement stalinien au pouvoir, avec Orbán comme chef. Il est entré à l’Assemblée nationale après les élections législatives de 1990.
Un peu d’histoire
Après l’élection, il a adopté le libéral-conservatisme qui a poussé les membres libéraux à partir et à rejoindre l’Alliance des démocrates libres. Il a ensuite cherché à nouer des liens avec d’autres partis conservateurs et, après les élections de 1998, il a réussi à former un gouvernement de centre-droit. Il a adopté le nationalisme au début des années 2000, mais sa popularité a légèrement diminué en raison de scandales de corruption. Il a été dans l’opposition entre 2002 et 2010 et, en 2006, il a formé une coalition avec le Parti populaire chrétien-démocrate, coalition qui ne s’est pas défaite depuis.
Puis est arrivé le discours d’Őszöd (discours prononcé par le Premier ministre socialiste hongrois Ferenc Gyurcsány au congrès du Parti socialiste hongrois, MSZP, en mai 2006 à Balatonőszöd. Bien que le congrès ait été confidentiel, le discours de Gyurcsány a été divulgué et diffusé par Magyar Rádió le dimanche 17 septembre 2006, déclenchant une crise politique à l’échelle nationale. Utilisant volontairement un langage vulgaire, Gyurcsány critiquait le MSZP pour avoir induit l’électorat en erreur et déclarait que son gouvernement de coalition n’avait adopté aucune mesure significative au cours de son mandat.
Le discours d’Őszöd a été suivi d’énormes manifestations de masse et a restauré la popularité du Fidesz, ce qui a conduit le Fidesz à remporter une super-majorité aux élections de 2010. Après avoir repris le pouvoir en Hongrie, il a adopté des politiques nationales-conservatrices et s’est déplacé davantage vers la droite. Il est également devenu plus critique à l’égard de l’Union européenne, ce qui a conduit le parti à être qualifié d’eurosceptique. En 2011, la nouvelle Constitution hongroise a été adoptée au parlement et elle est entrée en vigueur en 2012, bien qu’elle ait fait l’objet de controverses en raison de sa consolidation du pouvoir au Fidesz. Une clause en particulier lui est très favorable : la prime au parti (ou coalition) ayant le plus de voix. Sa majorité de sièges est restée après les élections de 2014, et suite à l’escalade de la crise des migrants, le Fidesz a commencé à utiliser une rhétorique populiste de droite et anti-immigrés. Depuis sa création, sa position politique a radicalement changé, Orbán décrivant son modèle de gouvernement comme une « démocratie chrétienne illibérale ».
Suite à la précédente élection qui s’était tenue en 2018, il détenait la majorité à l’Assemblée nationale avec 117 sièges, alors qu’il n’avait obtenu qu’une majorité relative de 49 % des voix. Il occupe également la présidence depuis 2010 et jouit de majorités dans les 19 législatures de comté, tout en étant dans l’opposition à l’Assemblée générale de Budapest. Le Fidesz a d’abord été membre de l’Internationale libérale jusqu’en 2000, après quoi il a rejoint le Parti populaire européen. Il en est resté membre jusqu’en 2021, et depuis lors, il a siégé au sein du groupe des non-inscrits au sein du Parlement européen.
Politique économique
L’objectif principal d’Orban a été d’établir un système politique qui permet l’accumulation de capital tant externe qu’interne. D’une part, dans les industries à forte intensité de capital et orientées vers l’exportation (telles que l’industrie manufacturière), cela signifie offrir un environnement commercial très rentable aux entreprises multinationales, par exemple en abaissant l’impôt sur les sociétés à 9 % (le plus bas de l’UE), en donnant des fonds publics généreux aux entreprises en échange de « création d’emplois », d’introduction d’une législation anti-
travail, etc. Cela explique la position favorable envers Orban des représentants du capital occidental. En revanche, dans les secteurs de l’économie moins capitalistiques et plus orientés vers le marché intérieur (c’est-à-dire la banque, les médias, le tourisme, l’industrie énergétique, l’agriculture, la vente au détail, etc.), il y a eu une poussée pour construire une classe capitaliste nationale. Cette dernière stratégie nécessite bien sûr une certaine autonomie vis-à-vis de l’UE : taxes contre les banques étrangères et les multinationales de l’énergie, captation des fonds européens par les amis d’Orban mettant les entreprises européennes dans les appels d’offres – et désormais liens économiques accrus avec la Russie et la Chine, doublé d’une forte rhétorique anti-UE chez eux (pendant une décennie, l’UE a laissé les amis et la famille d’Orban s’emparer des fonds européens en toute impunité, mais a récemment engagé des procédures pour plus de transparence – la Chine et la Russie n’ont pas ce genre de pruderie !). Cependant, la diversification des importations de capitaux ne signifie pas un relâchement des relations avec le capital occidental : la Hongrie, en tant que pays semi-périphérique, reste extrêmement dépendante de la technologie et du capital occidentaux. La collaboration avec les lobbies capitalistes automobiles allemands fait partie de cette relation – une histoire que les journalistes d’investigation de Direkt36 (site de journalisme d’investigation qui vise à surveiller les personnes au pouvoir public et à dénoncer leurs abus, un peu comme Mediapart en France) ont couvert en détail en 2020.
La politique sociale
La volonté de maintenir le niveau d’accumulation du capital après la crise de 2008, et notamment de soutenir la gestion de la crise par le capital occidental ainsi que celle des PME locales, a contraint le gouvernement Fidesz à supprimer les droits des travailleurs. Dans ce contexte, le gouvernement a complètement vidé les institutions du dialogue social tripartite, adapté le Code du travail aux besoins des employeurs, restreint le droit de grève, etc. La « loi esclavagiste » s’inscrit dans cette tendance (en Autriche, on a appelé cette loi la « loi BMW », car selon des sources anonymes, le constructeur automobile allemand a exigé cette modification juridique en échange de l’installation d’une usine de fabrication de voitures dans la ville de Debrecen). Les politiques anti-ouvrières qui durent depuis une décennie ont suscité du ressentiment parmi les travailleurs et les syndicats : les protestations contre la « loi sur l’esclavage » et les grèves salariales qui ont éclaté dans diverses entreprises en sont des signes clairs. Cependant, le mouvement syndical hongrois est loin d’être prêt à riposter de manière organisée. Le taux de syndicalisation est faible et diminue au fil des ans. De plus, les syndicats sont principalement présents dans le secteur public et dans les grandes entreprises multinationales, représentant la partie la moins précaire de la classe ouvrière hongroise. Après les protestations contre la « loi esclavagiste », plusieurs syndicats ont fait état d’une légère augmentation de leurs effectifs, mais la plupart des personnes qui adhèrent à un syndicat aujourd’hui sont confrontées à une réalité crue et décevante : la grande majorité des syndicats hongrois conservent encore aujourd’hui la culture syndicale des années d’étatisme dit socialiste : à la place de l’organisation de la base, des meetings de masse et des actions collectives, il y a surtout du lobbying auprès des employeurs et une redistribution partielle des cotisations syndicales sous forme d’actes symboliques de bien-être (cartes cadeaux pour Noël , etc.). Au cours des deux dernières années, des signes d’intensification des efforts de syndicalisation ont été observés dans divers secteurs, mais le mouvement syndical hongrois est encore loin d’être une force politique majeure.
Mesures populistes
Orban s’appuie sur une propagande efficace, relayée par des médias aux ordres, d’abord les télévisions publiques, mais aussi les médias privés, qu’il a fait racheter par les oligarques proches de lui à leurs anciens propriétaires d’Europe de l’Ouest.
L’axe principal de propagande est le soutien aux « familles hongroises » : prêt immobilier à taux zéro pour les familles (mariées, pas les couples !) qui s’engagent à avoir trois enfants, travail fourni par les mairies en zone rurale, très faiblement rémunéré mais assurant la survie des couches les plus pauvres du prolétariat (notamment les Roms) – nombre de villages votent 100% Fidesz! – et, suite à la crise ukrainienne, blocage des prix de l’huile de tournesol et de la farine de blé, ainsi que de l’essence. En parallèle, Orban a instauré une flat tax de 16% (alors que la TVA est à 27% !), pour s’assurer a minima la neutralité des couches aisées.
L’autre ressort est le nationalisme, s’appuyant sur la nostalgie de la grande Hongrie (dépecée par le traité de Trianon en 1920). Par exemple, les réfugiés ukrainiens choyés sont ceux qui viennent de la Transcarpatie, région d’Ukraine lim-itrophe qui faisait partie de la grande Hongrie et où on parle encore le hongrois.
Pourquoi Orban a viré à l’extrême droite
Initialement, Orban était un opposant au régime stalinien, libéral et pro-européen. Il a même gagné les élections de 2010 contre les socialistes en s’opposant aux franchises sur les médicaments et au plan d’austérité.
Mais son projet de développer un capitalisme hongrois s’est heurté aux règles européennes de libre concurrence. Même s’il ne visait que les secteurs demandant le moins de capital et le moins de concentration multinationale, comme les services, il fallait des capitaux et de l’expérience pour remporter les appels d’offres. Or le cercle autour de lui, famille et amis, n’avaient pas de capitaux (les bureaucrates des régimes dits socialistes ont des privilèges mais pas de capitaux). Il fallait donc tricher, truquer les appels d’offres, décourager les entreprises ouest-européennes et cacher tout cela aux Hongrois. D’où l’illibéralisme et le muselage des médias. D’où des campagnes dont l’objectif essentiel est de faire diversion (critique des banques et sociétés énergétiques occidentales, loi anti homosexuels...). Économiquement, cela a conduit à une captation des fonds européens par le cercle rapproché d’Orban (avec une surfacturation des réponses aux appels d’offres de 25 % selon l’ambassade de France). L’Europe de Merkel a laissé faire, car en échange Orban garantissait une main-d’œuvre pas chère et docile aux multinationales, notamment Mercedes, Audi et BMW.
Le « mouvement pour la patrie »
« Notre mouvement pour la patrie » (en hongrois Mi Hazánk Mozgalom) est un parti politique d’extrême droite hongrois fondé par des dissidents du Jobbik qui ont quitté l’organisation après que la direction du parti s’est éloignée de ses racines radicales.
En mai 2019, il a été annoncé que le parti formerait la Légion nationale, un groupe d’« autodéfense » en uniforme similaire à Magyar Gárda, l’aile paramilitaire du parti nationaliste Jobbik, qui a été interdit en 2009. Lors des élections locales de 2019, le parti a réussi à remporter 8 sièges dans les assemblées des comtés.
Le parti s’oppose fermement aux droits des LGBT. Après la sortie d’un livre pour enfants, Meseország mindenkié, qui met en scène des membres LGBT et des minorités ethniques en tant que personnages, la vice-présidente du parti, Dóra Dúró, a qualifié le livre de « propagande homosexuelle » lors d’une conférence de presse et en a détruit un exemplaire en déchirant ses pages et en les faisant passer dans une déchiqueteuse. Cette action a provoqué une importante controverse et attiré l’attention internationale.
Au milieu de la pandémie de Covid-19, le parti a protesté contre les mesures de confinement mises en place par le gouvernement, les accusant d’« inciter à la panique » et de ruiner le pays. Le parti promeut également la réticence à la vaccination, en lançant une pétition contre l’utilisation des vaccins Covid sur les enfants âgés de 12 à 15 ans. Le parti soutient la réintroduction de la peine de mort.
La crise ukrainienne
L’invasion de l’Ukraine met Orban dans une situation difficile : d’une part il ne peut pas la supporter totalement, notamment en ce qui concerne l’histoire hongroise avec la Russie, mais d’autre part il ne veut pas se fâcher avec son ami Poutine. Il a adopté une position d’équilibre : il accueille les réfugiés ukrainiens (en contradiction avec sa précédente politique anti-migrants, mais comme pour les autres pays d’Europe, les chrétiens blancs ne sont pas vraiment des migrants, surtout s’ils viennent de l’ancienne grande Hongrie !), il vote les sanctions mais il ne permet pas aux armes de traverser le pays et il refuse tout embargo sur le pétrole et gaz russes, sous prétexte de ne pas pénaliser les « familles hongroises ».
L’échec de la coalition anti Orban
Les six partis d’opposition qui ont formé une coalition électorale – MSZP (socialiste), Demokratikus Koalíció (centre gauche), LMP (écologiste libéral), Párbeszéd (écologiste centre gauche), Momentum (libéral) et Jobbik – ont publié un document intitulé « Garanties pour un changement d’ère » qui promet notamment « la rédaction d’une nouvelle Constitution […] soumise à référendum », le retour « d’un service public audiovisuel équilibré » à la place « de la propagande fausse et haineuse », de « restaurer l’indépendance du pouvoir judiciaire », l’adhésion de la Hongrie au Parquet européen, l’instauration d’une loi électorale « fondée sur la proportionnalité » et l’élection du président au suffrage universel direct.
Le système électoral fait qu’un parti ou une coalition présente à la fois un candidat au poste de Premier ministre et des candidats aux postes de députés. Celui qui a le plus de voix à l’élection (même si c’est moins de 50 %) gagne à la fois le poste de premier ministre et la majorité des députés.
À noter la présence dans la coalition du Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie, parti anciennement d’extrême droite qui s’est recentré.
Issu de racines radicales et nationalistes, à ses débuts, le parti se décrivait comme « un parti chrétien de principe, conservateur et radicalement patriotique », dont « l’objectif fondamental » est la protection des « valeurs et intérêts hongrois ». En 2014, le parti était clairement antisémite et un « parti néonazi ». De 2015 à 2020 (au milieu d’une rhétorique de plus en plus dure du Fidesz), le parti a commencé à se redéfinir comme un parti populaire conservateur plus modéré et a changé les éléments controversés de sa communication, culminant avec sa nouvelle déclaration de principes se définissant désormais comme un centre-parti pro-européen de droite avec quelques tendances nationalistes modérées résiduelles (la position occupée à l’origine par le Fidesz). Selon la « Déclaration de principes » du parti, le Jobbik « se concentrera toujours sur les intérêts de la Hongrie et du peuple hongrois plutôt que sur un groupe politique ou une “idéologie” ». Quoi qu’il en soit, le Jobbik a voté la loi contre la « propagande homosexuelle » en 2021.
Lors des élections législatives hongroises du 8 avril 2018, le parti a recueilli 1 092 806 voix, obtenant 19,06 % du total, ce qui en a fait le deuxième parti hongrois à l’Assemblée nationale.
La stratégie de recentrage du parti entreprise en 2014 a eu pour effet l’émergence de formations dissidentes plus radicales, notamment « Notre mouvement pour la patrie ».
Le candidat de la coalition au poste de Premier ministre a été Peter Marki-Zai, qui se définit comme ex-électeur du Fidesz, déçu par la corruption et l’illibéralisme. Il se dit honnête, catholique et conservateur. Il s’oppose à l’augmentation du salaire minimum, estimant que le marché serait capable de réguler les rémunérations, et à une réforme du système fiscal. Dans un entretien donné à la presse en novembre 2021, il explique que « pour l’instant, il est dans l’intérêt de la Hongrie d’être un paradis fiscal », avec une imposition sur les sociétés de 9 %. Il est pour l’entrée de la Hongrie dans la zone euro.
Durant la campagne, il a défendu l’OTAN, déclarant même qu’il était prêt à envoyer l’armée hongroise en Ukraine si l’OTAN le lui demandait. Cette déclaration a été utilisée à outrance par la propagande du Fidesz, passant en boucle sur tous les médias pendant des jours, pour démontrer qu’il mettait en danger les « familles hongroises », et que seule la position « neutre » d’Orban pouvait protéger les « familles hongroises » de la guerre.
La leçon de cet échec est claire : faire une campagne libérale, sans aucune mesure pour les classes populaires, ne peut conduire qu’à l’échec face au populisme d’extrême droite ; l’Europe capitaliste est largement discréditée, alors que l’économie hongroise a été mise en couple réglée par les multinationales après la chute du mur de Berlin ; l’OTAN est vue comme une protection uniquement défensive, à condition de ne pas s’engager.
*Janos est militant de la Quatrième internationale et correspondant d'Inprecor en Hongrie.