Congrès d'Antarsya : redéfinir la période et ses perspectivesLes 1er et 2 juin dernier a eu lieu le 2e congrès de Antarsya. C'était un pari et, en même temps, une occasion. Pari, car l'année écoulée a mis en question la stratégie anticapitaliste ou radicale, face à une alternative plus graduelle ou parlementaire qui a su gagner une audience de masse, à savoir celle de Syriza avec sa montée électorale en flèche l'année dernière. Une occasion aussi pour rediscuter et redéfinir quelques nouveaux éléments programmatiques qui sont apparus avec acuité dans la situation de crise galopante.
Ainsi, ont été discutée la montée terrible d'une extrême droite nazie et la riposte nécessaire, la définition d'une position de la gauche anticapitaliste face à la perspective d'un « gouvernement de gauche » réformiste, les questions organisationnelles d'une intégration plus approfondie de la gauche anticapitaliste au sein de la coalition Antarsya, etc.Élément important du congrès, sa dimension quantitative a dépassé de beaucoup tout ce qu'on aurait pu imaginer, vu le réel recul électoral de l'année dernière, ainsi que la situation beaucoup plus difficile pendant toute cette dernière année. Le corps du congrès a été constitué par 1 016 déléguéEs, en augmentation de 15 % par rapport au 1er congrès (octobre 2011) avec le même système de représentation, à savoir unE déléguéE éluE pour trois votantEs. C'est vrai que les chiffres ne disent pas toute la vérité, car il y a plusieurs niveaux (et modes) d'implication dans une formation politique, mais en l’occurrence cela exprime la permanence et la montée d'une frange de militantisme radical dans la société grecque, à la hauteur des luttes innombrables que provoque l'attaque bourgeoise. La délégation au congrès montraient une importante représentation des gens qui ont mené des luttes sociales, ouvrières ou locales durant la dernière période.
Antifascisme et alliancesLa discussion du congrès a été l'occasion de faire fructifier plusieurs expériences de luttes dans une perspective d'intégration politique. Il y en a eu plusieurs, mais les plus importantes étaient la question de l'antifascisme et celle des alliances.Concernant la lutte contre le fascisme et l'extrême droite, il n'y avait pas tant une divergence politique qu'une différence d'appréciation, vu qu'une partie des militantEs — au delà de Antarsya d'ailleurs — ont sous-estimé la spécificité, la nécessité d'un travail particulier et d'une unité de classe contre la montée foudroyante de l'extrême droite nazie. Les nombreux comités locaux, lancés depuis le congrès notamment par des militants de Antarsya (et au delà), ont montré la voie et le congrès a consacré programmatiquement la nécessité et l'urgence d'une lutte unitaire contre les nazis.La deuxième question, celle des alliances, est beaucoup plus compliquée et a montré une vraie divergence, sur la question d'un front éventuel avec des tendances politiques qui centrent leur stratégie sur la demande de sortie de l'euro et de l'Union européenne et sur la nécessité de réorganisation économique nationale (projet connu sous le nom de « plan B »). Au-delà des termes, la question a été plus ou moins résolue unitairement par le congrès, en maintenant la nécessaire rupture, non pas simplement institutionnelle, mais bien sociale, c'est-à-dire anticapitaliste.
Organisation et pouvoirLe fond de la question ne concerne pas seulement les alliances électorales, mais aussi et surtout tous les aspects de réorganisation politique de la classe ouvrière pour se poser comme sujet réel. Par exemple, la formule gouvernementale peut acquérir une dimension vitale, comme on l'a vu l'année dernière avec le « gouvernement de gauche » de Syriza. L'élaboration correspondante du congrès reconnaît l'importance de l'unité d'action, y compris politique, mais laisse ouverte la question du gouvernement, au-delà de l’adresse unitaire face à la dispersion politique réelle et même parfois divisionniste (notamment de la part du KKE, le PC grec).Dernier point, l'aspect organisationnel, où il reste encore beaucoup à faire, vu la multiplicité des composantes de Antarsya, non seulement sur les plans idéologiques ou historiques, mais surtout face à la dispersion et l’urgence des batailles sociales, pour l'organisation des solidarités et même des expériences associatives ou autogestionnaires dans la situation de crise galopante. Le climat consensuel qui continue à prévaloir au sein de Antarsya (et de ses organisations composantes) ne suffit pas à faire converger toutes les forces dans la même direction. La nouvelle direction, élue par le congrès, doit y penser, tout en essayant de mettre en œuvre plusieurs propositions du congrès dans le sens d'une meilleure coordination et d'une meilleure élaboration.
D'Athènes, Andreas Sartzekis et Tassos AnastassiadisMembres de OKDE Spartakos, composante d'Antarsya
Congrès de Syriza : une opposition interne renforcée
Le 1er congrès de Syriza s'est tenu du 10 au 14 juin dans un contexte de très grande instabilité politique et économique qui pose de nombreuses questions en terme d'alliances, de programme et de stratégie.Ces derniers mois, la direction a multiplié les gestes vers le centre-gauche (modération sur le programme, recherche du soutien d'une partie des classes dirigeantes et d'alliances avec des forces du centre). La Plateforme de gauche (principalement composée du « Courant de gauche » de Synaspismos et du « Réseau rouge » qui regroupe trois organisations révolutionnaires – DEA, Kokkino et APO — et des militants non affiliés de Syriza) a tenté de répondre à ces enjeux en soumettant cinq amendements au congrès.Le premier amendement affirmait la nécessité d’une « deuxième vague de radicalisation » tant en terme de programme que d’implication dans le mouvement de résistance. Les quatre autres amendements exigeaient :- l’annulation de la dette et des accords avec la troïka et, si besoin, la cessation de paiement pour obtenir son annulation ;- la nationalisation sous contrôle ouvrier et populaire de l’ensemble des banques et des secteurs stratégiques de l’économie ;- l'engagement d’en finir avec l'austérité « par tous les moyens nécessaires », y compris l'engagement de sortir de la zone euro et d’affronter l'UE en cas de chantage de Bruxelles ;- la perspective d’un gouvernement de gauche et non d’un gouvernement dont la gauche serait le « cœur », ce qui exclut toute alliance avec le centre-gauche ou les forces qui ont mené ou accepté des politiques d’austérité dans le passé.Malheureusement, les débats du congrès étaient organisés autour de questions « organisationnelles », la direction faisant tout pour empêcher toute forme d’opposition de gauche organisée.
Dissolution des organisationsLes organisations d'extrême gauche de Syriza ont reçu un ultimatum les enjoignant de se dissoudre dans les 2-3 mois qui viennent. Manolis Glezos, héros de la Résistance, a prononcé un discours très remarqué, rejetant non seulement le droit de la majorité de décider à la place des autres, mais mettant aussi en garde contre le danger d'un parti « présidentialiste ». Lors du vote sur les nouveaux statuts du parti, il y a eu un débat très vif principalement à l’initiative de DEA. Nous avons tenu ferme contre cette dissolution forcée, trouvant des alliés tant du côté du Courant de gauche que de Anasa (tendance Syriza à la « gauche » de la majorité), ce qui a obligé la direction à faire un compromis, l’avenir des « composantes » n’étant décidé qu'après des « concertations » qui prendront un « certain temps ».
Droits des tendancesAlexis Tsipras a tenté de remettre en cause le droit des minorités à présenter des listes alternatives. Devant la levée de boucliers de la Plateforme de gauche, il a proposé que toute minorité soit dans l’obligation de constituer des listes séparées, figurant sur des bulletins différents. Jusqu’à présent, il y avait sur un même bulletin différentes listes, ce qui donnait la possibilité aux délégués de panacher et d’élire (de manière limitée) des candidats d’une autre liste. Ce droit a été supprimé, le but étant de faire apparaître la Plateforme de gauche comme « un corps étranger » opposé au « parti en tant que tel ».L’opération s’est néanmoins retournée contre ses instigateurs, nombre de délégués, choqués par le comportement de la majorité, soutenant la Plateforme même s’ils ne partageaient pas l’intégralité de son programme. Loin d’être marginalisée, elle a obtenu 30,15 % des voix contre 25 % lors de la conférence nationale de décembre dernier, la liste majoritaire obtenant 67,61 %, soit sept points de moins.
Élection du présidentBeaucoup (même dans le camp majoritaire) ont reconnu qu’il était contraire aux traditions de gauche d’élire un « leader » et que s’il fallait un « président », celui-ci devait être élu et contrôlé par le Comité central. Les délégués ont approuvé l'élection du président par le congrès et sans autre candidature sérieuse face à lui, Tsipras a remporté une victoire à la Pyrrhus avec 72 % des voix (le reste étant principalement des votes blancs exprimant une défiance vis-à-vis de Tsipras lui-même ou de la procédure de désignation).
Premier bilanSi la majorité a remporté une victoire (les amendements de la Plateforme de gauche obtenant 30-40 % des voix notamment en raison du climat ambiant qui a conduit de nombreux délégués à voter automatiquement contre tout ce qui émanait de « l'opposition »), la direction a échoué à nous marginaliser et les médias ont dû admettre que « si la direction a gagné, elle doit faire face à une opposition renforcée ».En ce sens, le score significatif de la Plateforme de gauche est un triple message : un message à la majorité qui devra faire face à une opposition interne massive si elle opère un « tournant droitier », un message à la classe dirigeante (Syriza ne sera pas facile à « gérer »), et un message adressé au KKE et à Antarsya : il y a une forte opposition de gauche dans Syriza qui mène une lutte qu'ils doivent soutenir.La lutte pour la direction de Syriza est loin d'être terminée...
D'Athènes, Panos PetrouMembre de la DEA (Gauche ouvrière internationaliste), composante de Syriza.(traduit par Raymond Adams)