Publié le Samedi 23 juin 2012 à 19h49.

Guadeloupe : la presse rebelle

Pour dénoncer les conditions déplorables d’éducation en Guadeloupe, des jeunes militants ont créé le journal Rebelle ! qui fait grincer les dents des autorités. Plusieurs d’entre eux ont été inquiétés par la police et des proviseurs, dont Raphaël Cécé, étudiant et membre de la rédaction du journal.Qu’est-ce que Rebelle ?En septembre 2008, un groupe de jeunes « vétérans » des manifs anti-CPE s’est réuni pour faire un petit journal photocopié destiné à « faire entendre la voix des jeunes qui contestent les idées officielles ». Ce journal s’intitule Rebelle ! C’est un mensuel qui coûte 0,30 euro. Cinq des rédacteurs sont aussi membres de Combat ouvrier (groupe communiste révolutionnaire de l’UCI, comme Lutte ouvrière) et une quinzaine ont participé au mouvement LKP.Concrètement, qu’est-ce que vous faites ?Chaque semaine, nous nous réunissons pour débattre, écrire, et vendre notre journal aux autres jeunes (qui soi-disant n’aiment pas lire). Rebelle ! est apprécié : en moyenne, chaque mois, en Guadeloupe un jeune scolarisé sur vingt l’achète et le lit ! Depuis près de quatre ans, nous dénonçons toutes les injustices. Nous parlons de l’histoire des révoltes d’esclaves en Guadeloupe, de la Révolution haïtienne, de la lutte des Noirs aux États-Unis… Toutes choses que les « éducateurs » du rectorat se refusent à faire. Nous nous battons contre le saccage de l’école par les autorités. Nous dénonçons, preuves à l’appui, les conditions d’hygiène déplorables, le délabrement scandaleux des bâtiments, l’infestation par les rats et les moustiques, l’incapacité à accueillir les élèves handicapés…  Nous démontrons que, sous couvert d’apprendre « l’autorité » aux garçons et « la décence » aux jeunes filles, l’administration justifie l’abus de pouvoir, le « droit à la grossièreté » des chefs, et une intimidation sexiste scandaleuse subie par les jeunes filles : des insinuations malsaines au harcèlement pur et simple…Le journal Rebelle ! mobilise les jeunes pour toutes les causes justes : de la collecte d’eau après le séisme en Haïti à la solidarité avec les personnels ouvriers de la fac, de la grève sur les retraites au soutien envers les syndicalistes poursuivis après le mouvement LKP.Donc votre journal dérange…Depuis les débuts du journal, huit procédures ont été lancées contre l’un ou l’autre de ses membres, soit par des chefs d’établissement, soit par le rectorat. Nos lecteurs sont régulièrement menacés de renvoi, avec parfois la promesse « de ne jamais retrouver une place ailleurs dans le système scolaire ».Cette année les attaques contre nous ont pris des proportions scandaleuses. Depuis dix mois, les responsables du rectorat, les chefs d’établissement et leurs représentants nous insultent dans les médias, nous traitent de « dangereux voyous », organisent un réseau d’espionnage pour observer nos faits et gestes et nous envoient régulièrement à la police pour des affaires qui sont finalement classées sans suite...Pourquoi t’es-tu retrouvé au tribunal le 13 juin ?Vendredi 18 mai, on s’est rassemblés pacifiquement – 43 jeunes âgés de 12 à 28 ans – devant le commissariat de Pointe-à-Pitre. On accompagnait Maïssa, une élève du lycée de Baimbridge. Avec son père, elle était convoquée par la police à la suite d’une plainte de son proviseur, Jean Alice, qui lui reproche son appartenance à Rebelle ! Probablement influencés par les rumeurs qui circulent contre nous, les policiers nous ont chargés brutalement. Quatre heures durant, nous avons tenu le terrain jusqu’à ce que Maïssa, puis un autre camarade arrêté violemment, ressortent libres. L’autre c’était moi...Pour tenter de justifier leurs actes, les policiers ont porté plainte contre Sony Laguerre pour « coups et blessures » et contre moi pour « menaces ». En fait, les responsables de l’école cherchent à monter la police contre les jeunes et vice-versa. C’est pratique ! Cela leur évite de nous affronter sur le fond !Donc le 13, j’ai été convoqué au tribunal. Nous étions une centaine, malgré le bac qui commençait le lendemain. Les principaux syndicats étaient présents en solidarité. Et le procès a été renvoyé.Qu’allez-vous faire maintenant ?Notre règle de fonctionnement est très simple. Nous ne déclenchons jamais d’incident. Mais nous ne reculons jamais devant les menaces illégitimes.À l’heure où même des personnels de l’Éducation commencent à témoigner auprès du journal Rebelle ! sur des faits d’une extrême gravité – de l’intimidation sexiste au harcèlement sur mineurs – le refus des autorités à ouvrir une enquête et l’accélération de cet acharnement s’apparente à une véritable intimidation de témoins.La répression actuelle vise à terroriser les jeunes qui commencent à dénoncer les abus dont ils sont victimes. C’est pour cela que nous avons lancé une campagne unitaire pour défendre notre journal. Nous appelons à un meeting le 27 juin. Sony passera au tribunal le 10 octobre, et moi à nouveau le 16 janvier. Nous ferons alors le procès public de tous ceux qui sont responsables de la situation critique des jeunes en Guadeloupe, à commencer par les autorités scolaires.Nou ka ba zot randévou si facebook annou ! Rebelle-be-bad.Propos recueillis par Dominique Angelini