Deux années : 1967 et 1968. Deux révoltes effacées par les oppresseurs, celle de la population en Guadeloupe et celle des étudiantEs au Mexique, deux drames qu’il s’agit de faire vivre absolument, voici donc deux petits livres militants qui défendent la mémoire de celles et ceux qui ont lutté.
Guadeloupe Mai 67, d’Elsa Dorlin
Éditions Libertalia, 2023, 160 pages, 10 euros.
Que s’est il passé en Guadeloupe en mai 1967 ? Le sous-titre indique « Massacrer et laisser mourir », de quoi parle t-on ? Comment se fait-il que pour la plupart des gens cela n’évoque rien ?
Répression de la grève, racisme et massacre
Dans un climat de fortes tensions raciales et de mobilisations policières importantes, le 26 mai 1967, des ouvrierEs se mettent en grève et organisent une grande mobilisation devant la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre où se tiennent les négociations entre le patronat et les syndicats pour l’augmentation des salaires. Très rapidement les négociations sont rompues, un syndicaliste rapportant aux manifestantEs les propos racistes tenus par un patron. La manifestation qui se voulait pacifiste dégénère, les affrontements avec les forces de l’ordre sont violents, sous les ordres du préfet Pierre Bolotte et du commissaire, les CRS ont ordre de tirer à balles réelles. Ce massacre fera officiellement huit morts mais il y en a eu certainement plusieurs dizaines.
Elsa Dorlin revient dans son ouvrage, rédigé en collaboration avec Mathieu Rigouste et Jean-Pierre Sainton, sur les événements qui ont émaillé l’année 1967 en Guadeloupe et comment le gouvernement français a pensé la mise en place du maintien de l’ordre et programmé militairement la contre-insurrection.
Ce livre permet de comprendre le rapport de domination que perpétue la France dans ses colonies et plus largement comment l’État tente d’étouffer et mater toutes insurrections et mouvements sociaux qui pourrait remettre en cause l’ordre social.
68, de Paco Ignacio Taibo II
Éditions L’Echapée, 2008, 128 pages, 10 euros.
Paco Ignacio Taibo II était étudiant en 68 à Mexico. Il a vécu la révolte étudiante, il en fut un des militantEs actifs. Il avait fait comme un journal, pris des notes, pour en faire un roman. Mais il n’a pas réussi. C’est devenu ce livre, un récit, fait à la première personne. À partir de ses souvenirs, il raconte ce profond mouvement étudiant qui a concerné dans les 500 000 jeunes, qui a duré d’août à décembre 1968. Une lutte terrible pour le droit à étudier, pour des droits démocratiques fondamentaux, contre un pouvoir liberticide. La contestation partira d’actions de répression du pouvoir et touchera la plupart des universités.
Agitation étudiante permanente
Paco nous fait vivre des moments difficiles mais enthousiasmants, avec un peu d’autodérision parfois, au travers d’une succession de petits chapitres, mettant en scène ses camarades de lutte : une agitation étudiante permanente, des réunions et des meetings, des « brigades » dans les rues pour populariser la lutte, des manifestations énormes, une organisation du mouvement clandestin pour éviter les arrestations qui étaient très nombreuses (des milliers d’étudiantEs furent emprisonnés).
Il est question de détermination et de courage pour faire face à une répression systématique et brutale qui ira jusqu’au massacre de centaines d’étudiantEs le 2 décembre 1968… à peine 10 jours avant le début des Jeux olympiques de Mexico. Un drame qui stoppe le mouvement dans l’indifférence des pouvoirs du monde entier pour laisser la place à la plus grande des compétitions sportives.
Il y a de la nostalgie, de la tristesse, la fierté chez Paco Ignacio Taibo qui rend ainsi un bel hommage aux jeunes révoltéEs de 68 au Mexique.