Publié le Mercredi 11 février 2015 à 21h07.

Guadeloupe : “L’objectif du pouvoir ? Criminaliser et diaboliser l’action syndicale”

Entretien. Secrétaire de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), principal syndicat guadeloupéen, et porte-parole du collectif LKP, Eli Domota revient sur la répression contre les militants syndicaux exercée par l’État français, et la situation sociale et politique de l’île.Peux-tu nous dire pourquoi Charly Lendo, militant actif de la grève de 2009, est aujourd’hui poursuivi pour homicide involontaire, et où en est le processus judiciaire ?Charly Lendo, ancien secrétaire général adjoint de l’UGTG, est poursuivi pour homicide involontaire indirect, coups et blessures indirects, entrave à la liberté de la circulation et mise en danger de la vie d’autrui. Il est tenu pour responsable de la mort accidentelle d’un jeune motard survenue en février 2009 durant la mobilisation du LKP.Le patronat, soutenu par l’État, s’attaque aux acquis sociaux des travailleurs et des larges masses. C’est la remise en cause des seuils sociaux et de la représentativité des syndicats. C’est le piétinement du repos dominical et de la réglementation du travail nocturne avec la complicité du préfet et des maires. C’est le refus de toute négociation en branche professionnelle. C’est aussi la remise en cause du salaire minimum, des 35 heures, des jours fériés. C’est le piétinement de l’accord bino [ accord salarial conclu fin février 2009 lors du grand mouvement LKP – NDLR ].En vérité, il s’agit de détruire toutes les réglementations qui protègent les travailleurs et singulièrement les plus vulnérables, au nom de l’argent roi. Pour eux, la loi, c’est le marché, et le code du travail, c’est un obstacle.Nous l’avons compris, tout comme Michel Madassamy en 2001 [ militant syndical condamné par la justice – NDLR ], il fallait donc en épingler un, et leur choix s’est naturellement porté sur Charly Lendo, « la bête noire » des patrons magouilleurs de l’hôtellerie. On le voit bien, l’État veut sa revanche.Le procès a eu lieu mardi 20 janvier en présence d’une forte mobilisation des travailleurs et du peuple de Guadeloupe. Des délégations d’organisations de Martinique, de France et d’Haïti ont fait le déplacement. Nous avons également reçu des centaines de communiqués de soutien. Le délibéré est prévu la 3 mars. Le procureur a demandé la relaxe pour les chefs d’inculpation d’homicide involontaire, de coups et blessures involontaires et a laissé à l’appréciation du travail l’entrave à la liberté de la circulation. En fait, le parquet a voulu faire croire à la Guadeloupe que c’est Charly le responsable de la mort du jeune motard. Les débats ont démontré qu’il s’agissait d’un malencontreux accident.En quoi son cas est-il exemplaire et symptomatique de la politique de l’État français contre les grévistes de 2009 ?Depuis le mouvement LKP de 2009, ce sont plus de 100 militants syndicalistes de l’UGTG qui ont été convoqués par la justice alors qu’ils ne faisaient qu’exercer leur mandat syndical. Rapporté à la population salariée de la France, ce chiffre correspond à 15 000 militants syndicalistes convoqués devant les tribunaux.Même les avocats défenseurs des syndicalistes ont fait l’objet de pressions visant à les empêcher d’exercer leur métier. Ce sont aussi bon nombre de délégués syndicaux qui sont licenciés. C’est une guerre contre l’UGTG, contre les travailleurs. Car à travers Charly Lendo, c’est l’UGTG qui est visée. L’objectif du pouvoir ? Criminaliser et diaboliser l’action syndicale. Il faut marquer les esprits. Il faut terroriser les militants syndicaux et disloquer les organisations syndicales. Il faut faire peur !Christiane Taubira était venue vous soutenir. Quelle est sa position aujourd’hui ?Mme Taubira est ministre de la Justice du gouvernement français...Nous sommes nombreux à sentir une accélération de la répression syndicale depuis plusieurs mois. Ne crains-tu pas que les terribles attentats de début janvier ne soient utilisés par le gouvernement pour réprimer d’avantage ?Cela est juste car les mesures dites sécuritaires seront dirigées vers la classe ouvrière, vers ceux qui luttent et qui contestent la domination capitaliste et colonialiste. Nous avons vu comment la loi sur les empreintes génétiques a été utilisée contre les travailleurs. En Guadeloupe, avec notre organisation UGTG, nous refusons de donner notre ADN. Cinq de nos camarades ont été condamnés pour refus de se soumettre à un test ADN. Les syndicalistes ne sont pas des délinquants sexuels, ils ne sont pas des criminels.Plus généralement, où en la situation sociale en Guadeloupe ? Que reste-t-il de l’accord Bino ?La situation sociale est difficile. Le chômage ne baisse pas et frappe près de 60 % des jeunes. Nous continuons à nous battre pour le respect de l’accord Bino. Avec le soutien de l’État, certains patrons veulent se soustraire à leurs obligations, mais les travailleurs luttent. La Guadeloupe demeure un pays corrompu où les élus et le patronat magouillent au détriment des travailleurs et des petites gens qui souffrent. Le dernier scandale en date, c’est celui de l’eau. Depuis plusieurs décennies, la majorité des élus ont confié la gestion de notre eau à des multinationales qui ne se préoccupent nullement ni de la santé, ni du bien-être, ni de la qualité de vie des Guadeloupéens. Elles « gèrent » l’eau pour leurs propres intérêts, et ceux des élus, cela en contrepartie du financement d’une campagne électorale, de la construction d’un bâtiment, d’un voyage ou d’une caisse de champagne. Tout cela ne représentant que des miettes dans le magot que reçoivent les actionnaires des multinationales.Le prix payé par l’usager couvre les frais liés à la production, à l’entretien, à la maintenance des réseaux, à l’investissement, à la distribution, à la qualité et à la rémunération des travailleurs. Et on nous annonce qu’il faudrait plusieurs centaines de millions pour remplacer les canalisations pourries, car plus de 50 % de l’eau produite disparaît dans les sols. Où est passé notre argent ? Aucun élu ne veut aborder ce sujet car beaucoup ont participé et participent encore aux magouilles sur le dos des Guadeloupéens.Quel chemin peut prendre aujourd’hui le combat pour l’auto­détermination ?Nous poursuivons sans relâche notre travail d’information, d’explication et d’échanges avec les travailleurs et le peuple de Guadeloupe. Au moins deux à trois fois par mois, nous organisons des rencontres publiques sur différents thèmes, ces temps-ci sur la gestion de l’eau.Concrètement, comment chacun peut-il vous aider ?Un seul mot : solidarité, pour faire entendre nos voix au-delà des limites géographiques de la Guadeloupe.Propos recueillis par Olivier Besancenot