Ce vendredi 3 septembre, des cheminots de la Deutsche Bahn1 en sont au deuxième jour d’une nouvelle tranche de cinq jours de grève, jusqu’aux premières heures du mardi matin. Conflit démarré déjà en août et quelque peu spectaculaire, tant sont vides et déserts de nombreux quais de gares, malgré les efforts d’une direction de l’entreprise à cran pour revoir ses plans de transport. Cette même direction a cherché à nouveau à faire interdire la grève, par une procédure de référé en justice, et, devant le refus du tribunal, annonce qu’elle porte l’affaire devant une juridiction supérieure. Ambiance ! Cette grève – certes plus forte dans l’est du pays où le syndicat qui y appelle compte le plus d’adhérents mais bien vivante ailleurs aussi, en particulier dans la Ruhr – fait l’actualité. Lui donne des couleurs « lutte de classe » dont elle a bien besoin pour rompre la médiocrité d’une campagne électorale législative nationale d’où devra sortir le nom de celui ou celle qui succèdera à Angela Merkel au poste de chancelier ou de chancelière. D’où devra sortir aussi la composition du cocktail de partis (ou coalition) qui formeront le prochain gouvernement.
En août, l’Allemagne avait déjà été secouée par deux épisodes de grève des roulants de la Deutsche Bahn. Chaque fois deux jours seulement, les 11 et 12 août et les 23 et 24 août, mais chaque fois une paralysie spectaculaire du trafic, du moins là où la direction du syndicat GDL (un syndicat corporatiste de roulants, très intégré au système comme le sont tous les appareils syndicaux, mais qui s’est distingué ces quinze dernières années par une politique de grèves bien suivies, tranchant sur l’inertie voire la collaboration de classe décomplexée du plus gros syndicat des transports EVG)2.
En août, comme dans ce nouvel épisode de septembre, plus de 10 000 grévistes sont engagés, 90 % des trains supprimés dans diverses régions. D’un côté, une direction de la DB qui dénonce férocement l’irresponsabilité du syndicat ; de l’autre, des grévistes super déterminés qui estiment n’en être qu’à l’apéritif.
Grève, malgré le rétropédalage syndical
Depuis l’automne 2020, le mécontentement monte contre les faibles salaires, la baisse des effectifs, les sales conditions de travail et les menaces sur les retraites. Le tout avivé par les difficultés liées au covid. Des négociations ont été engagées entre direction et syndicats et au printemps, la grève devient une perspective. La direction du GDL a certainement espéré que la seule menace d’un conflit, et son propre choix d’en rabattre sur les revendications, feraient céder la direction. Plutôt qu’une augmentation de 4,8 % des salaires pour l’année, le GDL ne demande plus qu’une augmentation de 1,4 % cette année et 1,8 % l’année prochaine. Plutôt qu’une prime-corona de 1 300 euros, il n’avance plus qu’une prime de 600 euros. Le tout à conclure pour une durée de validité de 28 mois, durant lesquels rien ne peut être remis en question par une grève, « paix sociale » oblige. La direction de la DB n’a pas lâché pour autant, se flatte de « l’alliance du rail » qu’elle a nouée avec le syndicat majoritaire EVG et menace de faire appliquer une loi qui rendrait caduque toute convention négociée avec un syndicat minoritaire comme le GDL. Par référendum, les cheminotEs du GDL se sont néanmoins expriméEs au début août à 95 % pour la grève.
Pas question de « Nullrunde »
Les premiers épisodes du conflit ont été des succès. Des cheminotEs ont pu se rencontrer, discuter de leur mouvement, voire se joindre ponctuellement à des hospitalierEs en grève, à Berlin. L’envie d’en faire baver à la DB est là. Tandis que la hiérarchie se distribue des « bonus » salariaux, dont 10 % d’augmentation pour le PDG lui-même, il faudrait que les cheminotEs en restent à ce que les patrons allemands appellent « Nullrunde » – c’est-à-dire une augmentation zéro.
Le bras de fer continue donc. À Cologne le mardi 24 août, lors d’un meeting de grévistes de la Ruhr, le leader du GDL Weselsky a promis de « durcir la grève » : séquences de trois jours de grève au lieu de deux. Le scénario reste néanmoins à ce jour sous contrôle d’une direction syndicale qui a la main sur le frein.
- 1. Deutsche Bahn (DB), société nationale allemande des chemins de fer : société par actions détenues à 100 % par l’État depuis le milieu des années 1990, développée en multinationale depuis avec sa filiale DB International Operations.
- 2. Le GDL (Gewerkschaft Deutscher Lokomotivführer, ou Syndicat des conducteurs allemands), fondé en 1863, est à l’origine un syndicat corporatiste de conducteurs, surtout influent dans la partie Est du pays, qui a élargi sa base à d’autres catégories de cheminots – au total environ 37 000 adhérents. Ce syndicat minoritaire – dont le dirigeant appartient à la CDU ou droite allemande, se dit « conservateur » mais représentant néanmoins tous les syndiqués – a fait concurrence à l’EVG (Eisenbahn- und Verkehrsgewerkschaft), syndicat de branche des transports et du chemin de fer rattaché à la confédération principale, DGB, et fort d’environ 190 000 membres, tous secteurs confondus. L’EVG assume une collaboration ouverte avec la direction de la Deutsche Bahn, en particulier par un accord récent avec cette dernière, dite « Alliance du rail ».