Depuis le 3 janvier, nous arrivent du Kazakhstan des images de guerre. Le dictateur Kassym-Jomart Tokaïev ayant appelé Poutine à la rescousse, 3000 soldats et blindés essentiellement russes sont entrés dans le pays1.
Que se passe-t-il dans cette ancienne République socialiste soviétique devenue indépendante en décembre 1991, un pays immense mais peuplé de seulement 19 millions d’habitants, aux confins de l’Asie centrale et de la Chine, surtout voisin de la Russie avec laquelle il a 7000 kilomètres de frontière commune ?
Déjà plus de 160 morts et quelque 5000 arrestations
L’annonce de la libération du prix du pétrole de gaz liquéfié largement utilisé pour les véhicules, qui s’est traduite par une hausse de 100%, est à l’origine des quasi-émeutes. Des sites de gauche radicale et d’extrême gauche russes comme les réseaux internationaux de Solidaires, qui ont exprimé leur solidarité2, ont précisé que le mouvement serait parti de mobilisations sociales dans l’ouest du pays, au bord de la Caspienne, qui auraient tourné à la « grève générale » contre l'augmentation des prix des carburants mais aussi des produits alimentaires. Le tout dans un contexte de pauvreté et d’inégalités sociales, où pèse lourdement la pandémie. Des revendications d’augmentation de 100% des salaires, d’abaissement de l'âge de départ en retraite ont été mises en avant.
Et c’est la riposte immédiate et brutale du pouvoir qui a fait basculer vers l’émeute générale : bâtiments officiels pris d’assaut dans la capitale, manifestantEs affrontant des blindés. L’annonce par le président d’un gel du prix du gaz et de la démission du gouvernement est restée sans effet. La répression en revanche est devenue sauvage. Le 7 janvier, le président Tokaïev a encouragé les forces de répression à « tirer pour tuer », les révoltéEs étant présentés comme des terroristes. Dans la mesure où toute opposition politique a été annihilée par le régime, au fil des trente ans de règne de Noursoultan Nazarbaïev qui a passé la main il y a deux ans, à 80 ans et après cinq mandats consécutifs, il ne reste que la répression à l’état pur. Les réseaux sociaux sont bloqués. Une partie de l'élite du business s'est empressée de quitter le pays dans des jets privés. Et l'affrontement est loin d’être terminé.
« Guerre froide » entre « grands » ? Ou guerre contre les peuples ?
Dans un contexte de tensions entre puissances occidentales et Russie sur les risques d’intervention militaire russe à la frontière de l’Ukraine, les événements du Kazakhstan prennent un certain relief. Les USA et l’UE ont exprimé leur « réprobation » face à la répression au Kazakhstan. Au nom de la démocratie comme toujours. Voilà pourtant quelques décennies que les démocrates occidentaux entretiennent de bonnes relations avec Noursoultan Nazarbaïev et désormais son successeur, autocrates s’il en est.
Les richesses du pays en pétrole et métaux, entre autres, comme l’ouverture aux investissements occidentaux, dans la première moitié des années 1990, de fleurons économiques privatisés à la sauvage (tout en ménageant ou monnayant les bonnes relations avec le voisin russe), font que Exxon-Mobil et Chevron3, mais aussi Total4 et Areva5 (multinationale dont Bruno Le Maire est allé négocier les intérêts avec Nazarbaïev en juillet 2019), palpent les retombées en profits de la façon dont le dictateur bâillonne les classes populaire, à commencer par la classe ouvrière.
Toute notre solidarité va évidemment à la population insurgée du Kazakhstan, contre la sauvagerie du pouvoir en place et l’intervention militaire russe à sa rescousse, mais aussi contre l’exploitation par les démocraties impérialistes des richesses matérielles et humaines de ce pays – à l’ombre et à l’aide précisément de la dictature.
- 1. Il s’agit formellement d’un contingent de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), une alliance militaire nouée en 2002 entre la Russie, le Kazakhstan, l’Arménie, la Biélorussie, le Tadjikistan et le Kirghizistan – anciennes républiques de l’URSS.
- 2. Dans une déclaration du 6 janvier, divers groupes dont le RCD (Mouvement socialiste russe, lié à la IVe Internationale – voir le site « anticapitalist.ru ») déclarent entre autres : « À l’avant-garde de la protestation, il y a la classe ouvrière et nous sommes convaincus qu’elle seule peut arracher jusqu’au bout les changements démocratiques sans lesquels le combat pour la liberté, la démocratie et le socialisme est impossible. Seuls ceux qui travaillent et l’ensemble des forces progressistes du Kazakhstan peuvent porter la révolution à son terme, sans se laisser bercer par les discours gouvernementaux ni abandonner les destinées de la protestation aux mains des politiciens oppositionnels « démocratiques ». Nous sommes solidaires du soulèvement du peuple du Kazakhstan, qui exige : La libération immédiate de tous les manifestants et militants politiques emprisonnés. L’arrêt de l’intervention militaire des forces de l’OTSC. »
- 3. Selon le New York Times, les deux compagnies ont investi « des dizaines de billions de dollars » dans cet ouest du pays où la révolte a commencé.
- 4. Total est présent depuis 1992 dans le pays. En juillet 2019, le groupe pétrolier français annonçait fièrement « la phase 3 du développement du champ de Dunga », situé sur la côte de la Caspienne dans la région de Mangystau (Total ayant aussi des parts dans l’off-shore de la même zone).
- 5. Le 10 avril 2017, l’entreprise française Areva se félicitait dans un communiqué de la signature avec Kazatomprom (entreprise du Kazakhstan qui est le premier producteur mondial) de la signature d’« un accord important visant à renforcer leur coopération historique dans le secteur de l’extraction d’uranium au Kazakhstan […] consacrant vingt années de partenariat… ». Une « co-entreprise » Katco, entre AREVA pour 51 % et KAZATOMPROM pour 49 %. En août 2019, le Figaro annonçait : « Une discrète visite de Bruno Le Maire à Noursoultan a permis de débloquer un dossier clé pour l’ex-Areva […], ceci avant la mise en exploitation d’un troisième site minier dans le pays, qui deviendra prépondérant à partir de 2022 ».